Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 11.djvu/71

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
67
E. NAVILLE. — CONSÉQUENCES DE LA PHYSIQUE

l’énoncé d’une loi exprimant le mode de succession des phénomènes. L’indifférence dynamique du temps s’oppose à ce que l’on considère l’évolution comme étant l’expression d’un pouvoir producteur, d’une cause. On rencontre cependant, dans quelques écrits contemporains, l’idée que le temps est un facteur[1], et on oppose la doctrine de l’évolution à la doctrine de la création. Il s’agit d’une thèse de philosophie qui cherche son appui dans les progrès de la physique. L’appui est-il solide ? la filiation des idées est-elle légitime ?

L’hypothèse de la nébuleuse étant admise, quelle est l’origine de la nébuleuse, de la disposition de ses éléments, du mouvement initial, et des lois de la communication du mouvement ? Ces questions sont étrangères à la physique, qui, en sa qualité de science particulière, veut seulement constater les faits et rendre raison de leur enchaînement. Que le point de départ soit une existence par soi, la nature des choses, ou que ce soit le produit d’une volonté créatrice cela n’importe en aucune manière au travail des physiciens. Il semble donc, au premier abord, que les résultats de ce travail ne peuvent apporter aucune lumière à la philosophie pour la solution de son problème fondamental. Une étude attentive du sujet conduit à un autre résultat.

La théorie de l’évolution est née des découvertes de la géologie d’abord, puis de la doctrine du transformisme en histoire naturelle. L’idée que tous les organismes actuels sont provenus par voie de génération régulière d’organismes primitivement semblables s’oppose à l’idée de créations successives. Éloignons l’idée de création, pour écarter toute donnée étrangère au domaine de l’expérience. La question agitée entre les naturalistes est celle-ci : A-t-il apparu, à un certain moment, de nouvelles espèces végétales ou animales formées directement des éléments du sol et de l’atmosphère ; ou bien la faune et la flore proviennent-elles d’organismes semblables diversifiés sous l’action des causes physiques ? C’est une question de biologie, que des inductions expérimentales pourront résoudre peut-être, avec plus ou moins de certitude, et qui sort du cadre de mon étude actuelle. Restons à la physique.

Si l’on pense que le monde est fixe dans ses mouvements, que le système solaire et les autres systèmes analogues ont toujours été organisés comme ils le sont, on entend que le monde puisse être éternel, ou du moins on croit l’entendre. Cette pensée existait dans

  1. « Le temps me semble de plus en plus le facteur universel. » Ernest Renan, dans la Revue des Deux-Mondes du 15 octobre 1863, p. 762.