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humaines les plus adaptées à la vie sociale supplantent les moins adaptées.

Sur ce procès de l’intégration, il ne nous reste plus qu’une remarque à faire : c’est qu’elle suit cette marche nécessairement, qu’elle commence nécessairement par la formation de groupes simples, et qu’elle progresse par la combinaison et la recombinaison de ces groupes. Impulsifs dans leurs actes, peu capables de coopération, les sauvages ont une cohésion si faible que de petits groupes d’hommes peuvent seuls y conserver leur intégrité. Pour que ces petits corps sociaux soient susceptibles de s’unir pour former des corps plus considérables, il faut qu’au préalable, dans chacun d’eux, leurs membres se soient unis les uns aux autres par quelque ébauche d’organisation politique, puisque la cohésion de ces corps implique une plus grande aptitude pour l’action concertée et une organisation plus développée pour l’accomplir. Pareillement, avant que la combinaison puisse faire un pas de plus, il faut qu’au préalable ces groupes composites se soient quelque peu consolidés. Sans nous arrêter à aucun des nombreux exemples que nous rencontrons chez les sauvages, il suffira de rappeler ceux que nous avons déjà cités[1], et d’y ajouter, pour en fortifier l’autorité, des exemples tirés de peuples historiques. Nous savons que, dans la primitive Égypte, les nombreuses petites sociétés (qui finirent par devenir les nomes) s’unirent d’abord pour former les deux agrégats appelés Haute-Égypte et Basse-Égypte, qui plus tard s’unirent en un seul. Dans l’ancienne Grèce, les villages s’unirent aux villes adjacentes avant que les villes s’unissent pour former des États ; enfin ce changement précéda celui qui unit les États entre eux. Dans l’ancienne Angleterre, les petites principautés saxonnes se massèrent pour former les divisions de l’Heptarchie avant de passer à l’état d’une nation quelque peu unifiée. C’est un principe de physique que la force avec laquelle un corps résiste à l’effort ne croît qu’en raison du carré de ses dimensions, tandis que les efforts auxquels son propre poids le condamne croissent comme les cubes de ses dimensions, d’où il résulte que la faculté que ce corps a de conserver son intégrité devient relativement moindre à mesure que sa masse devient plus grande. On peut dire des sociétés quelque chose d’analogue. Tant que la cohésion est faible, il n’y a que les petits agrégats qui peuvent rester unis, et plus tard des agrégats plus considérables ne deviennent possibles que lorsqu’aux plus grands efforts qu’ils subissent, il leur est possible d’opposer une plus

  1. Principes de sociologie, § 226.