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H. SPENCER. — DE L’INTÉGRATION POLITIQUE

grande cohésion, celle qui est le produit d’une nature humaine adaptée, et un développement consécutif d’organisation sociale.

À mesure que l’intégration sociale progresse, les agrégats en accroissement exercent une contrainte croissante sur leurs unités, fait qui est le pendant d’un autre fait déjà exprimé, à savoir que pour considérer son intégrité un agrégat plus grand a besoin d’une cohésion plus grande. Les forces coercitives par lesquelles les agrégats conservent l’union de leurs membres sont d’abord peu considérables, mais elles deviennent extrêmes à une certaine époque de l’évolution sociale, puis elles se relâchent ou changent de forme.

Au début, le sauvage va individuellement d’un groupe à un autre, poussé par divers motifs, mais surtout pour s’assurer une protection. Les Patagons ne peuvent vivre isolés. « Celui qui l’essayerait serait inévitablement tué ou emmené en esclavage, dès qu’il serait découvert. » Dans l’Amérique du Nord, chez les Chinouks, « sur la côte, règne une coutume qui permet de capturer et de réduire en esclavage, à moins d’une rançon payée par ses amis, tout Indien trouvé loin de sa tribu, bien que l’on ne soit pas en guerre avec elle. » Au début, pourtant, quoique ce soit pour l’homme une nécessité de s’unir à un groupe, il n’est pas l’obligé de rester uni à ce même groupe. Dans les premiers temps, les migrations d’un groupe à l’autre sont communes. Les Kalmoucks et les Mongols abandonnent leurs chefs, quand ils trouvent son autorité oppressive, et passent à d’autres. Les Abipones, dit Dobrizhoffer, « quittent leurs chefs sans lui en la permission et sans qu’il en marque son déplaisir, et ils vont avec demander leur famille partout où il leur plaît ; ils s’attachent à un autre cacique ; lorsqu’ils sont fatigués de suivre le second, ils retournent impunément à la horde du premier. » Pareillement, dans l’Afrique du Sud, « les exemples fréquents de changements (chez les Balondas) d’une partie du pays à une autre prouvent que les grands chefs ne possèdent qu’une puissance limitée. » Mac Culloch remarque que, chez les Koukis, « un village entouré d’une grande étendue de terre propre à la culture et régi par un chef populaire ne tarde pas à s’agrandir par l’arrivée d’immigrants qui abandonnent des villages moins favorisés. » C’est de cette manière que certaines tribus grandissent, tandis que d’autres s’amoindrissent.

Au désir qui porte l’individu à s’assurer d’une protection s’ajoute celui qui porte la tribu à se fortifier ; enfin l’usage de l’adoption, qui en résulte, crée un autre mode d’intégration. Chez certaines tribus indiennes de l’Amérique du Nord, « l’adoption ou la torture était la seule alternative offerte à un captif » (l’adoption étant le sort du captif qui s’était fait admirer par sa bravoure) ; voilà un nouvel exemple