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G. GUÉROULT. — du rôle du mouvement

répétition des évolutions militaires ; la musique assurait d’une manière certaine l’ensemble des mouvements. C’était exactement l’équivalent de notre exercice des tirailleurs, de nos marches cadencées, de nos évolutions de ligne, qui s’accomplissent aussi au son des instruments. Sans parler de David, qui dansait devant l’arche, la plupart de nos danses tournantes actuelles n’affectent ce caractère que comme une réminiscence du temps où elles s’exécutaient autour de l’autel. En Espagne, la pavane, le fandango se sont longtemps dansés dans les églises. Maintenant, pourquoi cet amoindrissement de la danse et de la pantomime ? Il est à remarquer qu’il coïncide presque exactement avec le développement de la musique instrumentale. Avant l’invention de la sonate par Emmanuel Bach, tous les morceaux de musique sans paroles étaient désignés sous le nom d’une danse connue, dont ils empruntaient la mesure et l’allure générale. Mais, au fur et à mesure que l’art musical a pris son essor, le mouvement des sons s’est révélé comme cent fois plus complet, plus varié, plus expressif que le mouvement des mains, des jambes, du torse ou de la physionomie. La musique instrumentale a donc pris, tout naturellement, dans les arts d’expression, la place qu’y tenait autrefois la danse.

Nous passerons très rapidement sur l’art oratoire et l’art dramatique. Pour employer une expression dont nous nous sommes déjà servis à l’égard de la peinture, ils semblent présenter un caractère plus intellectuel que les précédents. Dans un discours, comme sur la scène, l’exposition, le développement des idées et des sentiments jouent le principal rôle. À la tribune, la petite voix cassée, le geste étriqué de M. Thiers, ont souvent lutté avec avantage contre la diction harmonieuse et les magnifiques poses de Berryer. Il faut ajouter aussi que, de notre temps, les orateurs ne parlent pas simplement pour parler, comme les anciens rhéteurs ; ils poursuivent un but, détendent ou attaquent certaines causes avec l’assentiment et le concours de l’auditoire, qui, artistiquement, n’est pas désintéressé. Néanmoins, et quoi qu’il puisse dire, un orateur dont la diction est monotone, mal scandée, un orateur qui lit son discours, a beaucoup de mal à se faire écouter, et est absolument certain de ne jamais émouvoir. Une voix forte, bien timbrée, des phrases bien coupées, nettement prononcées, sont, au contraire, presque indépendamment du fond des idées, une garantie de succès assuré. Le geste accentue les parties importantes de la phrase ; mais, au moins dans nos assemblées politiques, il joue un rôle déplorablement secondaire. Quelques coups de poings assénés de temps en temps sur la tribune, les deux mains s’appuyant ensemble sur la tablette ou s’agitant au ha-