Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 14.djvu/5

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


LE SENS DE L’ORIENTATION ET SES ORGANES

CHEZ LES ANIMAUX ET CHEZ L’HOMME


On a signalé chez des animaux fort divers, et chez certains hommes vivant plus ou moins rapprochés de l’état sauvage, une faculté remarquable qui leur permet de revenir en ligne droite à leur point de départ, après avoir parcouru des distances considérables et décrit des méandres sans fin. Sur le fait même de ces retours extraordinaires, le doute n’est plus permis aujourd’hui ; mais, sur les conditions dans lesquelles ils s’effectuent, les discussions ont été vives, les opinions fort diverses, et l’on est encore bien loin de s’entendre.

Cette question si intéressante captiva vivement mon attention à l’époque, déjà vieille de cinq ans, où je parcourais les forêts du Darien en compagnie des Indiens et des chercheurs de caoutchouc ; et, comme bien d’autres voyageurs, j’ai été frappé de ce que l’on est convenu de nommer l’instinct de ces enfants de la nature. Mais à quoi répond ce mot d’instinct ? Il faut bien avouer qu’il ne fait trop souvent que dissimuler notre ignorance. Ainsi que l’écrivait l’auteur anonyme d’un savant article[1], « même de nos jours, l’histoire naturelle est hantée par un fantôme connu sous le nom d’instinct, qui est invoqué dans tous les cas difficiles, comme l’était le phlogistique par les chimistes du dernier siècle, et que l’on revêt pour les besoins de la cause d’attributs parfois difficiles à concevoir, ou qui même se contredisent entre eux. » Déclarer que l’on a affaire à l’Instinct quand on ne saurait trouver une explication plausible des actes d’un animal, c’est ce que M. Bain appelle donner une explication illusoire, et répéter le fait même en un langage différent. J’adopterai, quant à moi, la définition de M. Lewes[2]. Pour lui, et les expériences de M. Spalding viennent à l’appui de son dire[3], l’instinct

  1. Quarterly Journal of Science, juillet 1878, p. 306.
  2. H.-G. Lewes,Instinct, in the Nature, 10 avril 1873.
  3. Les expériences de M. Spalding ont été publiées dans le Macmillan’s Magazine et reproduites en partie par M. Charlton Bastian, Le Cerveau et la Pensée, trad. française, vol. I, p. 177 et suivantes.