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TANNERY. — la physique de parménide

sur l’explication qu’essayait Alcméon pour les sensations de la vue et de l’ouïe, de l’odorat et du goût, ainsi que sur la différence qu’il établissait entre l’homme et la brute. Mais, d’après cette notice, on ne comprendrait guère comment le disciple d’Aristote range Alcméon parmi ceux dont l’opinion est opposée à celle d’Empédocle et de Parménide (qui attribuent d’après lui la sensation au semblable), si l’on ne s’apercevait pas qu’il s’attache exclusivement à la distinction établie par Alcméon entre la sensation et l’intelligence ; il conclut de là à une distinction entre le νοῦς et la ψυχή, l’une matérielle et composée des mêmes éléments que les corps sensibles, l’autre formé par un principe différent.

Que le raisonnement de Théophraste n’ait aucune valeur, c’est ce qu’il est aisé de reconnaître ; en fait la théorie des diverses sensations dans Empédocle dérive immédiatement de celle d’Alcméon ; toutes deux attribuent au même titre la sensation au semblable à l’objet senti. De celle d’Empédocle, Théophraste conclut que, pour l’Agrigentin, il n’y a point de différence entre la brute et l’homme ; mais cette conclusion, il aurait pu la tirer tout aussi bien de la théorie d’Alcméon, et il l’eût fait sans doute, si le Crotoniate n’avait pas affirmé la différence en question, que cependant ni Empédocle, ni Parménide n’eût certainement pas niée.

Quant à l’Eléate, il ne s’est point occupé des diverses sensations[1] ; voici comment Théophraste rapporte (De sensu, 3, 4) son opinion d’ensemble :

« Parménide n’a rien précisé en général, il a dit seulement qu’il y a deux éléments, et que la connaissance a lieu selon celui qui prédomine. Suivant que le froid ou le chaud se trouve en excès, l’intelligence est autre ; elle est meilleure et plus pure par le chaud ; cependant il faut toujours une certaine mesure convenable :

Tel est, soit d’une façon, soit de l’autre, le mélange qui forme les membres,
Telle se présente la pensée (νόος) chez les hommes ; c’est une même chose

  1. Stobée (Doxographi græci de Diels, p. 404), dit que quelques auteurs ont retrouvé dans ses vers la théorie d’Hipparque d’après laquelle la vision se fait par des rayons émanant de l’œil et allant frapper les objets, théorie qu’ils font remonter a Pythagore. Cette théorie, que les mathématiciens grecs ont adoptée en général, et qui se trouve déjà nettement formulée dans Euclide, est simplement une adaptation de la doctrine de Platon, faite pour l’étude géométrique de l’optique, et la doctrine de Platon remonte elle-même, par l’intermédiaire de Timée (?) et d’Empédocle, à l’opinion d’Alcméon qui a affirmé la présence de feu dans l’œil. Reconnaître l’existence de ce feu conduisait nécessairement à le mettre en mouvement, et cette tendance s’est successivement accusée de plus en plus. Il est possible que Parménide ait employé quelques expressions susceptibles d’être prises dans ce sens, mais il n’a certainement pas formulé une théorie qui, chez Empédocle, est encore loin d’être nettement posée.