En somme, les transformations de la personnalité par l’effet d’une idée ne sont pas très fréquentes, et ceci est une nouvelle preuve de ce que nous avons répété à satiété : la personnalité vient d’en bas. C’est dans les centres nerveux les plus élevés qu’elle atteint son unité et s’affirme avec pleine conscience ; en eux, elle s’achève. Si, par un mécanisme agissant à rebours, elle va de haut en bas, elle reste superficielle, précaire, momentanée.
La production des personnalités artificielles chez les hypnotisés nous en fournit une excellente preuve. M. Ch. Richet a publié ici[1] des observations abondantes et précises. Le lecteur les connaît ; je me bornerai à les rappeler en quelques mots. Au sujet hypnotisé (ordinairement une femme), on fait croire tour à tour qu’il est une paysanne, une actrice, un général, un archevêque, une religieuse, un matelot, une petite fille, etc., et il joue son rôle à s’y méprendre. Ici les données psychologiques sont parfaitement nettes. Dans cet état de somnambulisme provoqué, la personnalité réelle est intacte ; les éléments organiques, affectifs, intellectuels, n’ont subi aucune altération ; mais tout reste en puissance. Un état mal connu des centres nerveux, un arrêt de fonction, les empêche de passer à l’acte. Par suggestion une idée est évoquée, aussitôt, par le mécanisme de l’association, elle suscite des états de conscience analogues et ceux-là seuls ; avec eux, toujours par association, les gestes, actes, paroles et sentiments appropriés. Ainsi se constitue une personnalité extérieure à la personnalité réelle, faite d’emprunts et d’automatisme. Cette expérience montre bien ce que peut une idée débarrassée de toute entrave, mais aussi réduite à ses propres forces et n’ayant plus pour soutien et coopérateur, la totalité de l’individu.
Dans certains cas d’’hypnotisme incomplet, il se produit un dualisme. M. North, professeur de physiologie à l’hôpital de Westminster, dit, en parlant de la période où il était influencé par la fixation du regard : « Je n’étais pas inconscient, mais il me semblait que j’existais en double. Je me figuras qu’un moi intérieur était tout à fait vivant pour tout ce qui se passait, mais ne s’appliquait pas à s’immiscer dans les actes du moi extérieur et à les contrôler. La répugnance ou l’incapacité du moi intérieur à diriger le moi extérieur,
- ↑ Revue philosophique, mars 1883. Il a publié de nouvelles observations dans son livre L’homme et l’intelligence, p. 539 et 511. Voir aussi Carpenter : Mental Physiology, p. 562 et suiv.
de Loudun, p. 217 et suiv. « Je suis comme si j’avais deux âmes, dont l’une est dépossédée de son corps et de l’usage de ses organes et se tient à quartier en voyant faire celle qui est introduite… Ce n’est pas un seul démon qui me travaille, ils sont ordinairement deux. »