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L’action du transfert par l’aimant mérite d’être considérée d’une façon particulière dans les paralysies localisées. On peut transférer une foule de’ces paralysies ; choisissons celle qui consiste dans l’oubli d’un nom. Nous suggérons à une de nos malades l’oubli du nom de M. Féré, qu’elle connaît depuis tantôt dix ans ; lorsqu’elle est réveillée de sommeil somnambulique, il lui est impossible, non seulement d’articuler ce nom, mais de le reconnaître quand on le prononce ; et bien qu’elle puisse épeler toutes les lettres qui le composent, elle est incapable de le lire, et plus encore de l’écrire (elle n’écrit d’ailleurs que très imparfaitement). Elle est donc atteinte, relativement à ce nom, d’une aphasie complexe. Tout y est : aphasie motrice, agraphie, cécité verbale. Nous appliquons un aimant à proximité de son bras droit : au bout de sept minutes, il se produit un léger tremblement de la main droite, la malade se plaint d’une douleur de tête siégeant du côté droit, un peu en avant et en bas de celle qui se produit dans le cas d’expérimentation sur le bras. Puis, la douleur passe à gauche, et offre plusieurs oscillations déterminant une sensation indéfinissable ; le malade dit « c’est comme s’il y avait des portes battantes entre les deux côtés de mon cerveau. » Un instant après, elle dit sans hésiter « M. Féré », et elle reconnaît le nom sous toutes ses formes. On enlève l’aimant, et on prie le sujet de répéter le nom sans interruption elle le répète correctement une douzaine de fois, Féré, Féré, Féré… etc., puis elle dit Féry, Férou… enfin, elle s’arrête, et dit : « Je ne puis plus ».

Cette expérience qui a été répétée plusieurs fois et avec le même résultat est d’une interprétation relativement facile pour celui qui connaît toute la série des expériences précédentes. Nous voyons d’abord que la suggestion a déterminé la paralysie des éléments cellulaires spécialement adaptés à la perception et à l’articulation d’un mot ; l’aimant, en transférant l’inertie fonctionnelle du côté droit, qui probablement n’a rien à faire avec l’appareil des mots, a rétabli momentanément les fonctions du côté gauche, et la malade a pu entendre, lire et prononcer le mot qu’elle avait perdu.

Cette guérison d’une amnésie partielle par le transfert a un certain intérêt au point de vue thérapeutique ; elle nous montre que l’aimant peut avoir sa place dans le traitement des aphasies purement fonctionnelles, des aphasies hystériques par exemple ; et qu’en tout cas, il ne pourrait que faciliter l’effet d’une suggestion curative pratiquée dans ces conditions.