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L’IDÉE DE TEMPS

ORIGINE DES PRINCIPALES EXPRESSIONS QUI S’Y RAPPORTENT DANS LES LANGUES INDO-EUROPÉENNES[1]

Le double sens vulgaire conservé par notre mot jour, synonyme de lumière, et qui désigne en même temps la partie lumineuse du jour astronomique, par opposition à la nuit, et par conséquent une durée de temps plus ou moins déterminée, est un témoin précieux du phénomène de psychologie et de linguistique que nous voulons étudier ici, et dont il représente sous un signe verbal unique les différentes phases.

En général, dans les langues indo-européennes, et comme on le voit par ce mot, l’idée des divisions du temps et par suite celle du temps lui-même, qui ne diffère pas de l’idée de la succession indéfinie des jours ou des saisons, dérive, au moins quant à l’expression, des notions connexes de lumière ou de chaleur. D’abord, la partie du jour ou de l’année que le soleil éclaire ou échauffe plus particulièrement, s’est appelée la brillante ou la chaude. Puis, cette désignation qualificative, ou de nature, s’est étendue à la période elle-même considérée abstraction faite du phénomène extérieur qui la caractérise, mais eu égard seulement à la durée qu’elle embrasse. Par là le nom du temps prenait naissance, et la conception latente et confuse qu’en avait formée l’esprit humain devenait perceptible et consciente en se personnifiant, pour ainsi dire, dans une image sensible, et en trouvant son expression dans un mot qui la rattachait étroitement à cette image. La lumière, — le jour, — le temps, — tels sont les trois anneaux de l’enchainement psychologique qui relie ici, comme partout où il y a évolution de l’idée exprimée, l’abstrait au concret.

Toutefois la preuve particulière de ce processus ne saurait s’éta-

  1. Voir pour les données générales sur, lesquelles repose cette étude, notre article sur L’évolution de l’idée de « briller » en sanskrit, en grec et en latin. Revue Philosophique, février, 1884.