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P. TANNERY. — la théorie de la matière d’après kant

naissance empirique et destinées soit à acquérir une plus grande probabilité, soit au contraire, à perdre toute valeur.

Ainsi le problème qu’offre le départ à faire dans notre connaissance scientifique de la nature, entre l’élément empirique et l’élément apriorique, est un problème qui reste et restera toujours ouvert, qui mérite et méritera toujours d’attirer l’attention et des philosophes et des savants ; mais des tentatives comme celles d’Aristote ou de Kant, ayant pour but d’exposer une solution définitive de ce problème, ne peuvent avoir qu’une valeur historique relative à l’état de la science au moment où ces tentatives sont exécutées.

Cependant celle de Kant n’est pas si lointaine qu’elle ait déjà ce caractère purement historique, et le travail considérable auquel s’est livré un penseur aussi profond est encore digne d’attirer l’attention et de provoquer la discussion. Un récent ouvrage de M. Stadler[1] sur ce sujet est de nature à amener ces deux résultats, d’autant que par une analyse approfondie des doctrines de Kant, l’auteur a pu reconnaître avec précision certaines lacunes, certaines ambiguïtés de ces doctrines, et qu’il a essayé de remédier à ces défauts tout en se maintenant exactement au point de vue Kantien. Il a ainsi composé en réalité un commentaire aussi instructif en général qu’indispensable en particulier à qui se proposera d’étudier à son tour la théorie de la matière d’après Kant.

Je n’ai l’intention ici, ni d’exposer cette théorie dans son ensemble ou dans ses détails, ni d’analyser le travail de M. Stadler ; j’en prends seulement occasion pour examiner quelques points particuliers de la doctrine de Kant, et pour essayer de justifier les observations générales que je viens de présenter.

I

Il est très frappant, avant toutes choses, que la révolution si nette, opérée en philosophie par la Critique de la raison pure, n’entraîne sur le terrain scientifique aucune modification analogue ; à cet égard aucune comparaison n’est à établir entre Kant et Descartes le philosophe de Kœnigsberg ne se propose aucune rénovation, et il s’en tient en fait aux conceptions qui sont historiquement dérivées des travaux de Newton.

La chose est très visible, si l’on considère, par exemple, sa défini-

  1. Kant’s Theorie der Materie, von August Stadler. Leipzig, Hirzel, 1883.