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PYRRHON ET LE SCEPTICISME PRIMITIF



Les sceptiques anciens reconnaissaient expressément Pyrrhon pour leur maître, et leur doctrine a conservé chez les modernes le nom de pyrrhonisme. Il semble que tous les écrivains sceptiques se soient fait un devoir ou une habitude d’inscrire son nom en tête de leurs ouvrages. Ænésidème intitule un de ses ouvrages Πυρρώνειοι λόγοι, et quatre siècles après la mort de Pyrrhon, Sextus Empiricus donne encore à un de ses livres le nom d’Hypotyposes Pyrrhoniennes.

Cependant Pyrrhon est un des philosophes les plus mal connus de l’antiquité. Nous avons sur lui peu de renseignements, et encore ces renseignements ne s’accordent pas très bien entre eux. Il y a, à vrai dire, deux Pyrrhon, celui de la tradition sceptique représentée par Aristoclès, Sextus Empiricus et Diogène ; celui de la tradition académique conservée par Cicéron. Après avoir résumé les principaux faits de sa biographie, nous examinerons ces deux traditions, et nous essayerons en les conciliant de déterminer le véritable caractère de Pyrrhon et la portée de sa doctrine.

I. Pyrrhon, fils de Pleistarque[1] ou, suivant Pausanias[2], de Pistocrate, naquit à Élis, vers 365[3] av. J.-C. Il était pauvre, et commença par cultiver, sans grand succès, la peinture : on conservait encore dans sa ville natale, au temps de Pausanias, des lampadophores assez médiocrement exécutés, qui étaient son œuvre. Ses maîtres en phi-

  1. Diog. IX, 61. Suidas (Πύρρων).
  2. VI, 24, 4.
  3. Pour fixer la date de Pyrrhon, voici les documents dont nous disposons : 1° un article de Suidas (Πύρρων), où il est dit qu’il vécut au temps de Philippe de Macédoine dans la 111e olympiade (336-332), ce qui ne nous apprend rien de précis (voir Haas, de Sceptic. philos. success. Wurtzbourg, 1875, p. 5) ; 2° un texte de Diogène (IX, 62) où il est dit qu’il vécut 90 ans ; 3° les témoignages de Diogène qui nous montrent en lui un des compagnons d’Alexandre. Comme il avait, avant de partir pour l’Asie, cultivé la peinture et suivi les leçons de deux maîtres, il est permis de conjecturer qu’il était âgé de plus de 30 ans au moment de l’expédition d’Alexandre (327). De là les dates de 365 à 275 sur lesquelles la plupart des historiens, Zeller, Haas, Maccoll (The Greek Sceptics, London and Cambridge, Mac-Millan, 1869), Waddington, tombent d’accord.