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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/364

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impression visuelle particulière, tous autres modes de conscience paraissant pour un temps effacés ? Sur cette question fondamentale je n’ai aucune réponse nouvelle à apporter, pas plus que je n’ai été capable de trouver à cet égard une réponse précise dans les écrits des autres neurologistes ou psychologues.

Une tentative en ce sens, je le reconnais, a été faite par Maudsley. Parlant des conditions générales de la conscience, il dit : « La persistance temporaire d’un certain degré d’intensité dans l’énergie du trajet d’idéation apparaîtrait certainement comme condition de la conscience[1] » ; et deux pages plus loin, il ajoute : « L’attention est l’arrêt momentané de la transformation d’énergie, le maintien d’une tension particulière. » Bien qu’incomplète, voilà présentée une manière d’explication. Elle rend quelque compte (a) de la raison pour laquelle une impression particulière doit dans certains cas devenir dominante, — et aussi (b) de la raison pour laquelle les autres impressions doivent, pendant ce temps, être éliminées de la conscience.

(a) Sur le premier point, nous savons que l’aptitude, pour une impression donnée, à devenir dominante et à accaparer tout le reste, dépend intimement des expériences et des goûts individuels, et qu’ainsi la dépendance à l’égard des activités antérieures d’autres parties du cerveau est plus étroite encore qu’à l’égard d’excitations venues pour la première fois du dehors. Par exemple, les effets produits par l’action de mettre le feu à une longue traînée de poudre à canon concentreront l’attention du sauvage qui n’a jamais encore vu pareille merveille, beaucoup plus qu’ils ne frapperont la conscience de l’un de nous. Dans les cellules corticales que font entrer en branle, chez nous, les impressions amenées par l’explosion d’une traînée de poudre, une partie des activités moléculaires éveillées s’irradieront immédiatement, à travers une série de fibres commissurales, jusqu’aux autres centres sensoriels. Là, elles feront revivre les impressions semblables antérieurement éprouvées ; de sorte que nous devrons immédiatement reconnaître ou vérifier la nature de la cause externe.

Mais chez le sauvage, l’expérience étant nouvelle, l’activité moléculaire éveillée ne peut pas tout de suite s’écouler à travers ces voies commissurales ; elles ne peuvent pas exister chez lui ; il se produira partant une tension momentanée dans les cellules des centres de la vision ; — et, par suite,

(b) l’intensité plus grande de ce processus pourra, par comparaison, éclipser ou effacer d’autres impressions coexistantes, mais plus

  1. Physiologie de l’esprit, 1876, p. 306 de la trad. fr.