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tion à tout ce qui se passe en nous ; ainsi, souvent, en voyant seulement l’effet sans avoir perçu la cause, nous croyons qu’elle n’existe pas ; comme sans les recherches de la chimie nous serions portés à croire que certaines combinaisons chimiques se font par elles-mêmes, et non pas par effet de la lumière et de l’électricité. « L’activité cérébrale, écrit très bien M. Beaunis, en un instant donné représente un ensemble de sensations, d’idées, des souvenirs, dont quelques-uns seulement sont saisis par la conscience d’une façon assez forte pour que nous en ayons une perception nette et précise, tandis que les autres ne font que passer sans laisser des traces durables ; les premiers pourraient être comparés aux sensations nettes et distinctes que donne la vision dans la région centrale de la tache jaune, les autres aux sensations indéterminées que fournit la périphérie de la rétine. Aussi arrive-t-il très souvent que dans un processus psychique composé d’une série d’actes cérébraux successifs, un certain nombre de chaînons successifs vient à nous échapper… Il me paraît très probable que la plus grande partie des phénomènes qui se passent ainsi en nous se passent à notre insu ; ce qu’il y a d’important, c’est que ces sensations, ces idées, ces émotions auxquelles nous ne faisons aucune attention, peuvent cependant agir comme excitant sur d’autres centres cérébraux et devenir ainsi le point de départ ignoré de mouvements, d’idées, de déterminations, dont nous avons conscience[1]. »

Mais les expériences hypnotiques nous démontrent très bien que si les excitations produites par les sensations viennent à manquer, le cerveau entre dans un état d’inertie absolue. « D’après ce que j’ai observé — écrit M. Beaunis — je serais porté à croire que pendant le sommeil hypnotique, il y a un repos absolu de la pensée, tant que des suggestions ne sont pas faites. Quand on demande à un sujet placé dans le sommeil hypnotique — et j’ai fait cette demande bien des fois : À quoi pensez-vous ? presque toujours on a cette réponse : À rien. Il y a donc un véritable état d’inertie ou plutôt de repos intellectuel, ce qui s’accorde bien du reste avec l’aspect physique de l’hypnotisé : le corps est immobile, le masque impassible ; la figure a même une expression de calme et de tranquillité qu’elle atteint rarement dans le sommeil ordinaire ; il n’y a certainement ni rêves ni pensées d’aucune sorte, car les sujets qui se rappellent si bien, une fois endormis de nouveau, tout ce qui s’est passé dans un sommeil antérieur ne se rappellent rien d’un sommeil hypnotique dans lequel il ne leur a pas été fait de suggestions[2]. »

  1. Beaunis, Physiologie, 2e éd., p. 1351.
  2. Beaunis, L’expérimentation en psychologie par le somnambulisme provoqué (Revue philosophique, août 1885).