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tenait nous tombe sous la main ou sous les yeux : qui n’a éprouvé au moins une fois dans sa vie et dans des circonstances pareilles une espèce d’attendrissement soudain et foudroyant, qui n’est autre chose que le réveil de nos sentiments d’affection provoqué par le retour d’une sensation à laquelle ils avaient été associés ? Voilà quelle est l’origine de ce fétichisme de l’amour si commun, par lequel des bibelots, des vétilles, qui appartinrent jadis à la personne aimée sont conservés comme des trésors ou des reliques : c’est qu’en regardant, en touchant, en baisant ces objets, les sensations optiques et tactiles réveillent par association toutes les émotions de l’amour que la seule idée et la seule image de la personne aimée seraient impuissantes à exciter.

Même à ce propos les expériences hypnotiques nous montrent la nécessité de ce rapport entre la sensation et la reviviscence des émotions, sous une forme plus simple et plus claire. On peut en effet changer la personnalité d’un sujet hypnotisé (c’est-à-dire l’ensemble de ses idées et de ses sentiments) en lui donnant un objet qui soit en quelque rapport avec la personnalité qu’on veut réveiller en lui ; ainsi si on pose dans ses cheveux un peigne, le sujet croit être une femme, si on lui donne une épée, il devient soldat, si on lui pose une plume sur l’oreille, il devient un employé ; lorsqu’il porte tous ces objets ensemble, il est à la fois femme, soldat, employé et il perd toutes ces personnalités successivement, si on lui ôte les objets. C’est donc une sensation, la sensation de l’objet donné qui peut réveiller un nombre extraordinaire d’états de conscience, idées et émotions, qui lui étaient associés : ôtez la sensation, les états de conscience disparaissent[1].

Un autre processus psychologique bien connu qui sert à produire la reviviscence des émotions passées est le procédé qu’on pourrait appeler physionomique. Si vous exprimez avec la physionomie, écrit M. Maudsey, une émotion, la rage par exemple, l’étonnement, la méchanceté, cette émotion se réveillera dans votre esprit ; il vous sera même impossible d’éprouver dans ce moment une émotion autre que celle que vous exprimez avec le visage[2]. M. Espinas a remarqué que les chats, les chiens, les singes jouant à se mordre, à se frapper, finissent par s’enrager et se battre : or les hommes ne sont pas, à ce point de vue, beaucoup différents des autres animaux. Même cette fois les expériences hypnotiques nous montrent le phénomène réduit à une merveilleuse simplicité, dans la suggestion par

  1. Ottolenghi e Lombroso, Nuovi studi sull’ ipnotismo e la credulita, Torino ; 1889.
  2. L’esprit et le corps.