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Nous voici arrivés, Monsieur, au lapsus le plus grave, mélange agréable et inconscient, j’espère, de deux principes d’une indépendance absolue, celui de l’inertie et celui de la conservation de l’énergie, lorsque M. Ferrero dit que « ce serait l’absurde mathématique du mouvement perpétuel ».

De toute antiquité l’on s’est livré à la recherche d’un problème, dit aujourd’hui, par abréviation, recherche du mouvement perpétuel, dont l’impossibilité résulte immédiatement, pour M. Ferrero, de son principe d’inertie, opposé absolu du principe d’inertie généralement admis jusqu’ici. Or il est bon, Monsieur, de savoir exactement en quoi consiste ce problème : il s’agissait de trouver un moteur capable de produire du travail, sans que l’on eût extérieurement à lui fournir d’énergie sous aucune forme. Dans ces conditions, personne n’a jamais songé à condamner le mouvement perpétuel, mais, ce que l’on croit impossible, c’est que le corps animé d’un tel mouvement soit capable de produire constamment un travail, si faible soit-il.

D’ailleurs les idées de M. Ferrero à ce sujet ont peut-être été troublées par ce qu’il appelle la démonstration scientifique de M. Féré relativement aux sensations. Avant d’employer hardiment les mots d’énergies potentielle et cinétique, il faudrait se rappeler que, dans le cas seulement où les forces intérieures admettent une fonction de force, cette fonction changeant de signe s’appelle énergie potentielle, et l’on peut dire alors que la variation infiniment petite de l’énergie totale (somme de l’énergie actuelle ou cinétique et de l’énergie potentielle) est égale à la somme des travaux élémentaires des forces extérieures, et je ne suis point convaincu que « des manifestations motrices susceptibles d’être mises en évidence même par des procédés assez grossiers, comme la dynamométrie », puissent entièrement légitimer de telles hypothèses.

Je regrette vivement, Monsieur, d’avoir dû employer des expressions très spéciales, telles que fonction de force, mais je ne vois aucun moyen de les éviter, et ceux qui veulent parler avec compétence, c’est-à-dire en connaissance de cause, des différentes énergies, se feront un devoir de me comprendre. De plus, pour l’énergie potentielle, par exemple, l’on ne peut parler que de variation d’énergie potentielle et non d’énergie en soi, comme quantité absolue. Prenons encore l’exemple vulgaire dont on se sert pour mettre en évidence la notion d’énergie potentielle.

Voici une pierre en équilibre instable sur une montagne ; le moindre effort la fera rouler dans la vallée où elle devient capable de produire un travail qui sert de mesure à la variation de son énergie potentielle. Croyez-vous que ce travail, ou cette énergie, soit toute celle dont est susceptible cette pierre relativement à la pesanteur ou à l’attraction newtonienne ? Il n’en est rien, car au lieu de tomber seulement dans la vallée, on pourrait supposer qu’elle descende jusqu’au niveau de la mer, ou jusqu’au centre de la terre, abstraction faite de celle-ci,