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demi-sphère sur elle-même en forme de fuseau, et encore moins de la pseudosphère et des surfaces pseudosphériques, dont les propriétés n’apparaissent qu’à la suite d’une contention d’imagination parfois très laborieuse.

Toutefois laissons de côté cette considération qui donnerait trop beau jeu à la critique. Supposons pour l’instant que les auteurs n’ont en vue que le plan et la sphère, quand ils les définissent « des surfaces sur lesquelles une figure peut être déplacée d’une façon quelconque sans déformation ».

Or il saute aux yeux que ce n’est là que la généralisation de la définition ordinaire du plan : « une surface sur laquelle une ligne droite peut se déplacer dans tous les sens » — on n’ajoute pas et l’on n’a du reste pas besoin d’ajouter « sans déformation ».

Cependant si la définition du plan est tellement conforme à l’idée qu’on se fait de son objet que, pendant plus de deux mille ans, elle n’a soulevé aucune difficulté, elle n’en dissimule pas moins un postulat, celui de la possibilité de l’existence de cet objet. Car cette définition est surabondante, elle implique une infinité de conditions dont on n’a la faculté que de remplir une seule, et il y a lieu par conséquent de s’assurer que, parmi celles-là, il n’y en a pas d’incompatibles avec celle-ci.

C’est dans ce siècle seulement qu’on s’en est aperçu. Si, en effet, on engendre le plan par la rotation autour d’un point fixe d’une droite s’appuyant toujours sur une seconde droite fixe, il faudrait démontrer qu’on peut maintenant prendre pour centre de rotation tout autre point et pour directrice toute autre droite de la surface ainsi obtenue sans que la surface engendrée cesse d’être la même[1]. On sait que cette démonstration n’a jamais été faite, et ne semble pas pouvoir être déduite des principes ordinaires de la géométrie d’Euclide.

Or combien plus compliquée, dans sa simplicité apparente, est la

  1. Je ne sais si ce n’est pas Erb (le Problème de la ligne droite de l’angle et du plan, Heidelberg, 1846) qui a fait le premier cette découverte. En tout cas, je la refaisais de moi-même vers 1853. La critique de cette définition se lit dans mes Prolégomènes, p. 191 et suiv. « Elle implique, disais-je, une infinité de conditions dont une seule suffirait. Il devrait donc exister pour le plan un théorème ainsi conçu : Toute surface engendrée par le mouvement d’une droite (génératrice) qui, passant par un point fixe, s’appuie constamment sur une droite fixe (directrice), est un plan ; et dont la démonstration consisterait à établir que, dans cette surface…, toute droite qui s’appuie sur deux génératrices s’appuie sur toutes. » J’ajoutais que rien ne serait plus commode, pour supprimer le postulatum d’Euclide, que d’adopter pour les parallèles la définition suivante : « Nommons parallèles deux droites situées dans un même plan, qui font avec toutes les droites qu’on peut tirer dans ce plan, des angles correspondants égaux. » Toute la question est de savoir si de pareilles droites existent.