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vulgaire (qu’on peut intervertir l’ordre des quantité à ajouter, qu’on peut indifféremment, à une même quantité, en ajouter successivement deux autres ou bien d’un seul coup la somme de ces deux quantités), ces propriétés, dis-je, sont connues intuitivement ; il importe peu que je déclare, avec Kant, qu’il y a la des jugements synthétiques, ou qu’avec M. Renouvier, je considère ces propriétés comme déduites analytiquement du concept de l’addition. En tout cas, je leur attribue une valeur objective, en ce sens qu’en les énonçant j’affirme que leurs conséquences se réaliseront in concreto, pour les additions réelles que je puis avoir à faire.

Or un certain nombre au moins de mathématiciens, se plaçant au point de vue complètement abstrait, ont adopté la marche suivante. On définit verbalement addition une opération dont les propriétés (permutation, association, etc.) sont précisément celles que l’on sait, par intuition, appartenir essentiellement à l’addition arithmétique, mais on pose cette définition comme purement subjective et sans se préoccuper de savoir s’il y a ou non une opération objective qui lui corresponde. Il s’ensuit que, de la sorte, on établit toute la théorie de l’addition sans aucun appel à l’intuition, mais qu’elle n’a qu’une valeur subjective ; c’est à la mathématique appliquée qu’on laisse le soin de passer au point de vue objectif, en examinant si, de fait, l’intuition fait bien connaître une opération ayant les caractères attribués au concept de l’addition, tel qu’il a été construit. Il est d’ailleurs à remarquer que la mathématique appliquée reconnaît ces caractères, non seulement à l’addition arithmétique concrète, mais encore à d’autres opérations (addition géométrique, où l’on tient compte de la direction des droites aussi bien que de leur longueur ; etc.). Le concept construit subjectivement se trouve donc plus général que le concept intuitif qui a donné occasion de le construire ; cette plus grande généralité est d’ailleurs, au point de vue strictement mathématique, un avantage incontestable des constructions de ce genre.

Les explications que je viens de donner permettront, je l’espère, de comprendre suffisamment comment M. Milhaud a été conduit à parler d’interprétation objective et subjective des jugements et des concepts, au lieu de s’en tenir à la terminologie de Kant. Ajouterai-je qu’il se garde d’ailleurs de proposer des distinctions trop précises et que, par une fine analyse, il montre qu’un même jugement peut être et est souvent entendu dans les deux sens ; que, dans la science, la différence entre la mathématique pure et la mathématique appliquée n’est guère que théorique et que l’on passe par des nuances tout à fait insensibles des concepts objectifs purement empiriques aux concepts construits subjectivement auxquels ne se mêle au contraire aucun élément fourni par l’expérience ?

L’objet de sa thèse est au reste de prouver que la contradiction logique n’autorise aucune affirmation en dehors des faits particuliers directement observés, qu’elle n’a par suite aucune valeur pour ou