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texte à entreprendre, et précisément dans le genre essayé par M. Combarieu. Donc, n’est-ce pas ? entre une situation donnée d’une part et d’autre part une pluralité de types mélodiques ou rythmiques, il y a lieu d’examiner quels sont les types les mieux appropriés. Berlioz a dit quelque chose d’approchant dans une page pleine de verve, où prenant à partie la thèse des « athées » de l’expression musicale, il propose de substituer à l’air de Rouget de Lisle, celui de la Grâce de Dieu et à l’air du ténor dans la Juive celui de la Mère Michel, tout en gardant et le texte de Scribe : « Rachel ! quand du Seigneur… », etc., et les paroles de la Marseillaise.

L’intéressant serait, j’imagine, de déterminer les types mélodiques ou rythmiques définis les plus aptes à traduire musicalement une situation dramatique définie. Nous ne croyons pas l’entreprise vaine, ayant eu l’occasion de l’aborder plusieurs fois dans notre enseignement d’esthétique musicale. Et les résultats auxquels est parvenu M. Combarieu sont de nature à confirmer les nôtres.

À ce propos, je ne puis me défendre d’exprimer un regret. M. Combarieu cite à chaque instant Wagner et Berlioz, de quoi il y aurait mauvaise grâce à se plaindre surtout à la manière dont il les cite, les détaille, les commente. M. Combarieu est doué des qualités du philologue. Et comme les dons du philologue n’ont pas coutume d’être appliqués aux textes musicaux, on devine à quel point les analyses de notre auteur doivent être curieuses, instructives, nouvelles. Aussi j’aurais voulu plus d’études de texte encore, dût le sujet même du livre en être oublié. J’aurais souhaité plus de citations et tirées d’un plus grand nombre d’auteurs. J’aurais aimé que les maîtres italiens fussent mis à contribution pour une part plus grande encore, et qu’on ne traitât point ces riches comme des indigents. Car le jour où l’on abordera l’histoire du drame musical, on découvrira peut-être quelle place prépondérante les maîtres italiens tiennent dans cette histoire. Je crois bien que Wagner vivant ne nous démentirait pas et qu’il se reconnaîtrait le débiteur de ces maîtres. C’est qu’en effet ces maîtres ont compris, à un degré qui ne paraît pas avoir été surpassé, comment, selon la nature et le moment d’une passion, le rythme des mouvements antérieurs de l’âme peut changer sa vitesse et sa forme. Le style italien manque trop souvent de distinction, et s’il vaut par quelque chose, ce n’est assurément point par le choix des termes. En revanche, ce style a des qualités de mouvement incomparables, qualités moins poétiques à proprement parler qu’oratoires, et c’est ce qui explique la fréquence avec laquelle il verse dans la déclamation. N’importe. Il serait intéressant d’étudier l’évolution de cette langue dramatique et de constater à ce propos que des lois inverses à celles de l’architecture semblent gouverner cette évolution. En architecture, c’est l’utilité qui dicte le dessin de la construction tout d’abord ; l’idée d’enjoliver, d’ornementer, de colorer pour le simple plaisir des yeux n’apparaît que plus tard. Dans la musique italienne, le trait, primitivement, sert à enjoliver la phrase :