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sible, ou bien il connaît le motif lui-même et pourquoi c’en est un. Dans le second cas seul, l’intelligence juge équitablement, car connaissant la valeur des deux termes, elle se prononce sciemment pour l’un ou l’autre ; dans le premier cas au contraire la décision n’est pas morale, car l’intelligence ne connaissant pas les motifs en eux-mêmes ne peut pas se prononcer comme si elle les connaissait elle sait que ce motif peut peser dans la balance, mais, ne se rendant pas compte comment, le jugement même s’il était prononcé pour le bon motif, serait inconscient, par conséquent immoral, selon nos données, en effet, conscient = moral. La théorie esquissée ci-dessus s’appliquait à ce cas où tous les motifs sont saisis, et saisis dans leur essence. Or ce cas est loin de se présenter toujours, ce qui n’infirme néanmoins pas la loi, comme on serait tenté de le croire si l’on écoutait le plus grand nombre des moralistes ; l’intelligence reste intelligence, et elle n’est telle qu’aussi longtemps qu’elle choisit le motif supérieur ; mais le même motif quand il se présente sous forme de connaissance externe, et quand il se présente sous forme de connaissance interne, n’a dans les deux cas de commun que le nom ; dans le premier cas l’intelligence n’a pas de raison pour l’adopter (le motif), dans le second elle en a, car elle sait l’estimer à sa juste valeur, dans ce cas seulement au sens strict du mot, on peut parler du motif moral. Il va de soi qu’il y a des intermédiaires entre ces deux extrêmes, qu’on connaisse en partie les raisons internes d’adopter le motif, mais c’est toujours l’application et la confirmation d’une même loi, dans un nombre infini de variations. Nous étendons donc la qualification de M~o’a~ ou conscient et M ?MMO)’o~ ou wcoMscte~t aux motifs, non plus seulement aux actes ; les mêmes motifs sont tour à tour moraux ou conscients et immoraux ou inconscients.

Si nous avons tant insisté sur cette seconde remarque c’est que nous avions pour cela de fortes raisons elle est destinée à prévenir une objection très courante, mais très superficielle aussi, objection qu’on nous a répétée à nous personnellement à satiété, et qu’on n’aurait pas manqué de faire ici en invoquant de nouveau les mots célèbres de saint Paul a Je fais le mal que je ne voudrais pas faire, mais je ne fais pas le bien que je voudrais faire », ou d’Ovide « Video melioraque probo, sed deteriora sequor. »

De toutes les questions que soulèverait notre examen de l’acte moral et la solution du problème moral qui en ressort nous n’en toucherons qu’une seule ; d’ailleurs comme nous le disions en commençant nous n’avons nullement l’intention de justifier et d’expliquer aujourd’hui les conséquences de notre thèse, et cela, chacun