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l’avouerai, des locutions qui ne sont pas des plus instructives ; encore sont-elles trop rares, et le plus souvent il se complaît dans une indétermination décevante. Il dira, par exemple, que « la propriété immobilière est sujette à un état pathologique » qui consiste dans « l’endettement des biens-fonds ». Mais à quelle maladie spéciale correspond cette plaie hypothécaire de certains pays ? Il ne nous le dit pas. J’aurais aimé plus de détails à ce sujet et, en particulier, au sujet des « bacilles » sociaux, qu’il lui eût été cependant bien facile de désigner, s’il eût pris la peine de reconnaître qu’une idée nouvelle, apportée et inoculée par un homme nouveau, publiciste, apôtre, tribun, quand elle est en contradiction avec les propositions fondamentales d’un ordre social, est le plus terrible des microbes, le plus contagieux, le plus combattu aussi, jusqu’au jour où, ayant accompli son œuvre, il est salué germe de salut, panacée, évangile. C’est, en effet, la caractéristique des bacilles propres aux maladies sociales, ainsi qu’à ces maladies elles-mêmes, que ces poisons quand ils sont mortels deviennent remèdes, et que ces maladies, quand elles sont mortelles aussi, deviennent palingénésies et transfigurations. Et cela seul, déjà, nous révèle quelques différences, qui ne sont pas minimes, entre l’être vivant et le corps social.

Il y en a d’autres, et il serait long d’en épuiser l’énumération. Un économiste distingué, M. Saint-Marc, en relevait une d’importance dans la dernière livraison de la Revue d’économie politique de M. Gide. Il n’est pas d’homme qui ne fasse partie de plusieurs sociétés à la fois ; je ne dis point seulement de plusieurs associations commerciales, politiques ou autres, et je n’ajouterai pas, avec cet auteur, que la société nationale ne diffère d’une société financière ou professionnelle qu’en degré, non en nature. Je sais bien qu’on n’a qu’une nationalité à la fois et que, dans la formation du lien national, il entre, même là où les races sont le plus mélangées, un entrelacement de causes à la fois héréditaires et imitatives, vitales et sociales, qui concourent à sceller d’un sentiment spécial toutes les âmes ainsi colligées. Mais je sais aussi que le lien national n’est pas le seul lien social ; que la communauté de sol, la Patrie, la communauté de domination, l’État, la communauté de foi, l’Église, sont des sociétés tout aussi fortes que la nation, beaucoup plus fortes même dans certains cas. Si donc toute société est un organisme, l’Église catholique, je suppose, est un organisme aussi bien que l’État austro-hongrois, aussi bien que la nation allemande, et la compagnie de Jésus aussi bien que l’État belge. Un Autrichien, par suite, Allemand de nationalité, catholique de religion, fait partie intégrante de trois organismes à la fois. Et je prie qu’on me montre le pendant de cette singularité dans le monde vivant, c’est-à-dire une cellule faisant partie à la fois de trois corps.

Autres petites différences. Impossible de préciser tant soit peu le moment où un « organisme social » naît ou meurt. Je conjure les historiens de me dire, à dix ans près, à cinquante ans près, à un siècle près, quand est née la nation française actuelle. Chacun d’eux émettra