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habituelle ardeur, que les sciences physiques et naturelles n’ont pas réussi à expliquer la nature de l’homme en tant qu’homme, c’est-à-dire être doué de sentiment, de pensée, de volonté, encore moins l’origine de ces attributs vraiment humains, de ce qui constitue l’homme comme tel, et que, en conséquence, elles ne nous ont pas révélé davantage la destinée future de ce qu’il y a dans l’homme de vraiment humain. Mais, à notre avis, l’éloquent écrivain dépassait le but qu’il s’était proposé en poussant trop loin l’offensive plaçant en face l’une de l’autre la religion et la science, il semblait oublier la philosophie. Ne pouvant, disait-il, concevoir l’homme sans la moralité, sans le langage ou en dehors de la société, ce sont ainsi les éléments mêmes de sa définition qui échappent à la compétence, aux méthodes, aux prétentions de la science. — De la science purement physique, oui ; mais les sciences psychologiques et morales ne peuvent-elles rien nous apprendre sur l’origine de la société ? Cette origine, semble-t-il, est dans les instincts sociaux de l’homme, comme elle est, pour certains animaux, dans des instincts sociaux moins développés, qui n’ont rien de surnaturel. — Mais la science n’a pas expliqué complètement l’origine de l’homme même. — Ni celle de l’insecte ou de l’oiseau. — La science n’a pas complètement expliqué l’origine du langage humain. — Ni celle du chant des rossignols. Les questions d’origine historique comportent toujours beaucoup d’inconnues, jamais de miracles ni de mystères. L’origine métaphysique de la matière et de la pensée est seule un véritable mystère pour notre intelligence ; mais la science n’a jamais promis de le dévoiler ni de faire connaître l’inconnaissable. Le positivisme de Comte et l’évolutionnisme de Spencer ont même fait à l’inconnaissable une part exagérée. L’hypothèse mosaïque de la création, il faut en convenir, nous donne une réponse à la question de savoir d’où nous venons, et la théorie de l’évolution ne nous en donnera jamais. — Mais l’hypothèse brahmanique de l’émanation, et en général, tous les récits des religions, quelles qu’elles soient, nous donnent aussi une réponse à la même question. Elles ne peuvent être toutes valables. Comment donc choisirons-nous sans le secours de la philosophie ?

La science, pour son malheur, a été défendue par les savants. L’un des plus illustres a rappelé que nous lui devons le télégraphe, les chemins de fer, les « matières colorantes ! » M. Berthelot ajoute qu’il « adhère à la morale du devoir et des honnêtes gens » ; mais il ne nous montre pas comment cette morale se justifie. Elle ne relève, dit-il, « ni de l’égoïsme, ni du fanatisme ». Sans doute, mais ne relève-t-elle pour cela d’aucune doctrine philosophique ? N’en