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DE
L’INDIVIDUALISME RELIGIEUX

Partout dans le monde social il y a lutte, influence réciproque, ou accord final entre deux forces contraires : l’individualisme et ce qui n’a pas encore reçu de nom technique et ce que nous proposons d’appeler le sociétarisme, dont la limite extrême est le collectivisme, de même que la limite extrême de l’individualisme est l’anarchisme théorique. Tandis que le sociétarisme à ses divers degrés consiste essentiellement dans une adaptation réciproque, dans une coordination des hommes entre eux, suivie d’une subordination, d’une hiérarchisation, de telle sorte que la société puisse communiquer sa force et ses avantages à tous moyennant l’abandon qu’elle demande à chacun formellement d’une partie de sa liberté, et virtuellement d’une partie de ses affections, de ses idées ; l’individualisme rejette toute espèce de joug et toute union forcée, même toute union volontaire si elle devient indissoluble ; il se renferme dans le moi, tandis que le sociétarisme s’absorbe souvent dans le non-moi. Or voici que ces deux principes sont situés aux antipodes l’un de l’autre. Ce qui répugne le plus à l’individualisme, c’est moins la coordination que la subordination ; il est essentiellement anti-hiérarchique, et si, par nécessité sociale, il veut bien se soumettre quelquefois à une autorité suprême, celle de la loi qui règne comme une divinité lointaine, il ne se soucie pas de subir les nombreux intermédiaires qui s’interposent entre la loi et lui, il lui semble alors porter toute une chaîne de servitude.

Chacun de ces deux principes a sa valeur propre, et quoique d’un camp à l’autre, comme toujours, on refuse de reconnaître celle de l’adversaire, le juge impartial n’hésite pas à penser que l’élimination de l’un d’eux serait un malheur certain et grave. Sans des individualités préexistantes la société n’aurait pu se former, puisqu’un tout ne peut exister sans ses parties ; mais il n’y a là qu’un état d’une durée très brève, et la base psychologique n’a été qu’une base, car de bonne heure, les individus se sont rencontrés, choqués d’abord peut-être, mais ensuite alliés ou soumis. Ce n’est qu’après cette