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mise en société que les individualités se détachant ont apparu de nouveau, mais avec plus de consistance et d’importance. C’est que l’individu recueille beaucoup de la Société qui le renferme, de même qu’un corps, de tous les éléments ambiants et de tous ceux qu’il s’incorpore par intrasusception ; sans ces éléments nouveaux, il serait soi-même, mais n’aurait que la valeur d’un soi, sans culture, sans développement, il lui faudrait recommencer toutes les sciences, tous les arts, et le progrès serait impossible. De même, à son tour sans l’individu et même sans l’individu ayant une individualité très marquée, la société verrait ses progrès s’arrêter, elle reproduirait toujours ceux qui sont acquis sans y ajouter, ne ferait jamais que s’imiter elle-même, continuant le mouvement commencé, mais par la seule force d’inertie. C’est à son tour l’individualisme qui, par l’initiative, la spontanéité qui lui est propre, lui donnera un nouveau branle. Tous les grands progrès, ceux qui ont d’un seul coup franchi plusieurs étapes, sont l’œuvre de solitaires. C’est ainsi qu’individu et société peuvent et doivent rivaliser non pour s’éliminer, mais pour se promouvoir.

Les caractères des individualistes et des sociétaristes sont très différents, ainsi que l’influence que leur doctrine et leur condition ont sur leur vie. Le sociétariste a une grande tendance à l’adaptation, à l’imitation qui, loin de le gêner, le guident ; il ne s’écarte point du chemin commun, il se place volontiers à son rang hiérarchique, et ce n’est pas seulement sociologiquement, mais psychologiquement, qu’il agit ainsi. Il accepte et s’assimile facilement les idées courantes, les idées moyennes. Sans doute, s’il se place aux extrémités du sociétarisme sur les bancs du collectivisme, il n’en est pas ainsi, car il s’écarte de l’opinion majoritaire. Mais même alors il se rattache à une école dont il suit exactement les leçons sans se permettre d’y déroger, pour avoir quelquefois sur un point une opinion contraire ; il demeure seulement sociétaire d’une autre société plus associée. Ce caractère du sociétariste empêche les progrès considérables, éloigne ceux de l’avenir, mais il a le grand avantage de conduire la société sans secousse, de laisser fonctionner très régulièrement tous ses rouages et de ne point compromettre dans de graves et nouvelles erreurs. En outre, cette doctrine est favorable à ses adhérents de par leur esprit hiérarchique, tant en la forme qu’au fond, ils plaisent beaucoup, leur docilité les élève sans cesse. La fortune, les honneurs, le pouvoir sont presque constamment aux sociétaristes, surtout aux sociétaristes moyens ou qui le deviennent par la formation d’autres partis extrêmes.

Les individualistes, au contraire, ordinairement en petit nombre,