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qui est « divinement sanctionnée », est un rebelle à l’égard de la société et de son Dieu. Il n’y a qu’un pas à faire pour que la société conclue dans ce cas à la suppression de l’individu. L’histoire en témoigne[1]. »

Bien que M. Baldwin ne nous donne pas sur ce sujet les pénétrantes et précises observations dont il a coutume d’étayer ses conceptions générales et que même l’étude du sentiment religieux chez l’enfant, si conforme à sa méthode préférée, reste à faire, les considérations précédentes ont leur prix. Elles confirment d’une manière remarquable la conclusion où nous a conduit l’examen des faits. Sans doute, « l’homme moyen » n’est pas précisément celui dont nous nous occupons ici et les individus que nous avons en vue sont à bien des égards au-dessous de la moyenne. Mais, outre que le fanatisme se développe parfois chez des individus relativement sains et normaux, les esprits faibles nous offrent une forte exagération des phénomènes constatés par M. Baldwin sur les représentants ordinaires des traditions et des habitudes sociales. En même temps, ces dégénérés nous permettent, en exagérant les défauts communs, d’interpréter avec plus de précision les données de l’observation, de mieux saisir dans l’inextricable enchevêtrement psycho-social, les faits qui commandent les autres.

Le premier fait mis en évidence (et digne d’attirer l’attention des sociologues enclins à attribuer quelque importance à la loi de l’adaptation), c’est le trouble profond et général, organique, affectif, intellectuel, qui se manifeste chez certaines personnes isolées et qui prend fin dès que ces personnes sortent de leur isolement pour obéir aux suggestions de leur entourage. Incapables de réaliser, même à la manière mystique, la systématisation de leurs états de conscience, elles arrivent cependant à l’unité et recouvrent la tranquillité en s’adaptant à un groupe large ou restreint, différant de la famille et des autres agrégats sociaux en ce qu’un même stimulus y agit d’une manière à peu près exclusive et constante, y renouvelant sans cesse le même état de bien-être et de béatitude. Mais l’efficacité durable de cette sorte de traitement psychologique dépend de deux conditions principales : il importe, en premier lieu, que le malade s’identifie avec le groupe, au point de n’avoir plus d’autre moi qu’un moi social, relatif au groupe unique, quel qu’il soit, nation, église ou secte ; il importe, en second lieu, que le groupe reste toujours identique à lui-même, puisque le moindre changement, l’innovation la plus légère, crée de nouvelles condi-

  1. Interprétation sociale et morale du développement mental.