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TOME LVII. JANVIER 1904.


LE CYNISME

ÉTUDE PSYCHOLOGIQUE

I. LA DÉFINITION DU CYNISME.

Le cynisme que nous nous proposons d’étudier requiert une assez longue définition ce mot mal famé, malsonnant, offre un contenu fort vaste il signifie tout ce qu’il y a de laid et de répugnant dans notre cœur ; c’est un triste examen de la nature humaine que nous entreprenons. Consacrant à ce sujet toute une étude, nous allons fixer d’abord simplement les traits essentiels. La définition du cynisme doit être resserrée dans une formule abrégée, si imparfaits qu’en soient les termes ; nous dirons Le cynisme c’est l’égoïsme qui avoue, qui ne se gêne pas, qui se vante ; la scélératesse qui médite son tSMure et qui s’applaudit. Simple produit de la pensée, le cynisme est le parti-pris de ~M~’ey notre nature et de la mépriser ; rapp)’o6a<{OH donnée à nos instincts immoraux. Le cynisme part de l’égoïsme, c’est là son fond, sa racine ; or c’est déjà un vice que l’égoïsme qui s’accuse, et qui, chez certains individus, est criard, fournit un signalement. Le cynisme est pis c’est l’égoïsme pleinement conscient, qui s’approuve, se glorifie, se délecte de soi, qui ne cherche point à se corriger ; l’égoïsme enroulé sur lui-même, qui se travaille et se féconde, se promet des satisfactions inouïes, qui pleure de tendresse en se considérant ; et encore l’égoïsme cru et nu, cuit et recuit, sans pudeur et sans frein, monstrueux, colossal, à la deuxième, à la troisième puissance. Ainsi défini le cynisme se trouve séparé de l’immoralité insouciante et naïve, qui s’abandonne à sa pente, sera peu dangereuse à autrui ; de l’égoïsme instinctif et de premier mouvement, qui est la loi fondamentale de la vie.

Le cynisme a pour élément principal une déclaration d’égoïsme, il est un aveu aveu satisfait, souriant, fait tout haut ou tout bas, de notre indignité. Le cynique est celui que son infamie sustente et qui ne sait qu’en rire ; un Méphistophélès amusé qui dévêt de leur vertu les naïfs, qui conduit à leur perdition de pauvres diables ; il