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raison semblaient devoir en protéger les esprits et, par suite, on ne voit pas comment, en dépit de tant d’obstacles, elle aurait pu triompher aussi généralement.

II

Reste la théorie de Tylor dont l’autorité est toujours grande. Ses hypothèses sur le rêve, sur la genèse des idées d’âme et d’esprit sont encore classiques ; il importe donc d’en éprouver la valeur.

Tout d’abord, on doit reconnaître que les théoriciens de l’animisme ont rendu un important service a la science des religions et même à l’histoire générale des idées, en soumettant la notion d’âme à l’analyse historique. Au lieu d’en faire, avec tant de philosophes, une donnée simple et immédiate de la conscience, ils y ont vu, beaucoup plus justement, un tout complexe, un produit de l’histoire et de la mythologie. Il n’est pas douteux, en effet, qu’elle ne soit chose essentiellement religieuse par sa nature, ses origines et ses fonctions. C’est de la religion que les philosophes l’ont reçue ; aussi ne peut-on comprendre la forme sous laquelle elle se présente chez les penseurs de l’antiquité, si l’on ne tient pas compte des éléments mythiques qui ont servi à la former.

Mais si Tylor a eu le mérite de poser le problème, la solution qu’il en donne ne laisse pas de soulever de graves difficultés.

Tout d’abord, il y aurait des réserves à faire sur le principe même qui est à la base de cette théorie, à savoir sur l’identification trop complète de l’âme avec le double, c’est-à-dire avec un être entièrement distinct du corps et capable de vivre normalement une vie propre et autonome. En réalité, cette conception trop simple ’n’est pas celle du primitif ; du moins, elle n’exprime qu’un aspect abstrait de l’idée qu’il se fait de l’âme. Pour lui, l’âme, tout en étant, sous de certains rapports, quelque chose de différent et d’indépendant du corps, se confond pourtant en partie avec ce dernier au point de ne pouvoir en être radicalement séparée certains organes ou .tissus en sont, non seulement le siège attitré, mais la forme extérieure et visible, la manifestation matérielle. Ils sont comme l’âme vue du dehors ; aussi, même quand elle est censée sortir du corps, elle ne le quitte pas tout entière. La notion est donc beaucoup plus complexe que ne le suppose la doctrine