Page:Ricardo - Œuvres complètes, Collection des principaux économistes,13.djvu/245

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gent monteront ; car, comme le dit M. Buchanan, « les salaires du travail ne consistent pas dans l’argent, mais dans les choses que cet argent peut acheter, c’est-à-dire, dans les subsistances et autres choses nécessaires ; et la part accordée au travailleur, sur le fonds commun, sera toujours proportionnée à l’approvisionnement[1]. »

  1. M. Buchanan, d’Edimbourg, le dernier éditeur de Smith, et l’un de ses plus dignes interprètes, me paraît avoir ici raison contre M. Ricardo. Il établit que rareté et cherté sont une seule et même chose ; je le pense comme lui. Rareté, en matière de valeurs, ne se prend pas, ne peut pas se prendre dans un sens absolu, mais dans un sens relatif à la demande. Ainsi, quoique l’Angleterre produise plus de grains au dix-neuvième siècle que dans aucun des siècles qui ont précédé, je dis que le blé abonde moins en Angleterre qu’il ne faisait, et que sa quantité n’a pas augmenté autant que le nombre de ses consommateurs ; car, d’après tous les relevés statistiques que j’ai pu consulter, jusqu’à la première année de ce siècle, l’Angleterre, année commune, a constamment exporté du blé, et depuis lors elle en a constamment importé. J’en juge encore sur la législation actuelle de ce pays, où les douanes sont armées, contre l’importation du blé*, et où l’exportation est libre, assuré que l’on est qu’on n’exportera pas du grain d’un pays où il manque constamment, et où il est par conséquent plus cher que partout ailleurs.
    M. Buchanan est donc fondé à dire que chacun des consommateurs, a, pour ce qui regarde le blé, une moins grosse part à consommer, et qu’il la paie aussi cher que si elle était plus grosse.
    Cette législation est nécessitée par la circonstance qu’il y a en Angleterre, dans la réalité, deux pris naturels pour le blé. L’un se compose des frais de production du blé produit par les fonds de terre du pays ; l’autre, des frais de production du blé produit par l’industrie commerciale, du blé que l’Angleterre doit à son commerce. Ce dernier prix est en général plus bas que l’autre ; et si le gouvernement n’ordonnait pas qu’il ne sera versé du blé du commerce qu’autant que le prix s’en élèvera à 80 sch., les cultivateurs ne pourraient soutenir la concurrence des négociants ; ils ne vendraient pas un quarter de grain ce que ce quarter leur coûte : ils abandonneraient cette culture, au moins en partie, et acquitteraient difficilement leurs contributions, leurs fermages et la taxe des pauvres. C’est ainsi que l’autorité publique entretient perpétuellement une espèce de disette factice, un prix monopole, qui, par suite du même système, s’étend à beaucoup d’autres marchandises, rend la vie difficile, et chasse hors de leur terre natale un si grand nombre d’Anglais. Pour être conséquent dans ce système vicieux, en même temps qu’on diminue, ou, ce qui revient au même, qu’on empêche de s’accroître les objets de consommation, il faudrait empêcher de s’accroître le nombre des consommateurs ; mais on n’est point d’accord là-dessus en Angleterre : j’en juge par les contradictions qu’éprouve M. Malthus. L’un n’est pourtant que la conséquence nécessaire de l’autre. On ne peut soutenir que par de mauvais palliatifs une santé politique altérée par des excès qu’on ne veut pas corriger. — J.-B. Say.
*. On permet bien l’importation dans l’entrepôt, mais le versement dans la circulation n’est admis que lorsque le prix monte à 80 sh. le quarter et au-dessus**
**. Il n’a pas été donné à J.-B. Say d’assister à l’instauration définitive des principes de liberté commerciale, et de voir se propager dans le monde cet affranchissement commencé en Angleterre. Lui aussi est mort en vue de la terre sainte, avant que Robert Peel eût donné l’élan aux réformes économiques, avant que Cobden eût passionné les multitudes au nom de la science, avant que la ligue eût rayé de sa main géante ce monopole inique et absurde qui, comme l’a dit O’Connell : graisse les roues du riche avec les larmes du pauvre. C’eut été une douce récompense, pour son courageux et savant apostolat, de voir chasser ignominieusement les prohibitions de nos tarifs, de voir ébranler les protections et démasquer le travail national, — véritable patriotisme de haut fourneau, de filature, de cardeuse, qui accompagne si tristement le patriotisme de clocher. — Les 80 sh., qui du temps de. J.-B. Say servaient de barrière aux céréales étrangères, se transformèrent entre les mains de M. Huskisson et cédèrent la place au régime de l’échelle mobile —sliding-scale — déjà proposé en 1813. Ceci se passait en 1827 : en 1828 et 1842, nouvelles métamorphoses, qui aboutirent enfin à cette magnifique réforme économique qui illustrera la mémoire de R. Peel et la dernière session du parlement Anglais. Le nouveau système sera encore, jusqu’au 1er janvier 1849, celui de l’échelle mobile, mais d’ici-là il se transformera peu à peu. Ainsi la nouvelle loi porte qu’à partir de 1849, les céréales seront entièrement libres et ne paieront qu’un droit de balance. Seulement, comme transition vers ce salutaire régime de la liberté illimitée, R. Peel a fait adopter l’échelle suivante que nous mettrons en regard de celle de 1842, pour mieux en faire ressortir la portée et les bienfaits :
Échelle de 1842 Échelle de 1846
Prix du blé par quarter — Droit Prix du blé par quarter — Droit
À 59 sh. et au-dessus 14 sh. à 53 sh. et au-dessus 4 sh.
de 59 à 58 14 sh. de 53 à 52 5 sh.
de 58 à 57 15 sh. de 52 à 51 6 sh.
de 57 à 56 16 sh. de 51 à 50 7 sh.
de 56 à 55 17 sh. de 50 à 49 8 sh.
de 55 à 52 18 sh. de 49 à 48 9 sh.
de 52 à 51 19 sh. à 48 sh. et au-dessous 10 sh.
à 51 et au-dessous 20 sh.
En disant que cette loi nouvelle doit rayer la famine et les crises industrielles de l’ordre du jour des nations, j’en aurai suffisamment fait connaître la grandeur. La réforme accomplie à travers les luttes ardentes de la tribune anglaise ou pugilat des hustings, cette réforme qui a détruit l’inique rançon payée par la chaumière au palais, par le prolétaire à l’aristocrate, me semble, en effet, le plus grand triomphe, que la science, incarnée dans quelques hommes, ait remporté au profit du genre humain. Sans doute, ce n’est pas au moyen de quelques articles votés dans l’enthousiasme d’une cause sainte, que l’on peut prévenir à jamais le retour des disettes, des souffrances manufacturières, des diminutions de salaires. Décréter une abondance perpétuelle, serait renouveler le miracle des noces de Cana, ou de la multiplication des pains, et nous ne croyons pas même que les protectionistes s’en chargent, eux qui multiplient si facilement, cependant, le nombre des ouvriers employés dans les forges, les houillières ; eux surtout, qui ont fait ce miracle étonnant de faire croire à 35 millions d’hommes que ce qui les ruine les enrichit. Il sarait donc absurde de rendre les institutions humaines, responsables des caprices de l’atmosphère, et des calamités qui s’opposent à leur bienfaisante influence. Qu’est-ce en effet que la famine, si ce n’est le rétablissement virtuel des vieilles lois sur les céréales par la main du hasard ?— je ne veux pas dire de la Providence. Les forces humaines ne peuvent rien contre ces brutalités du sort. Je me trompe elles pourraient en alléger le poids en les répartissant sur le monde entier, et en appelant au secours des provinces désolées, celles dont les moissons ont été respectées : elles peuvent préparer les approvisionnements, en abaisser le prix par l’extension des marchés, et la régularité des opérations commerciales : elles peuvent faire, enfin, ce qu’elles ont fait et font encore pour l’Irlande, qui se fut éteinte sans elles dans le blasphème, le sang et la faim. N’avons-nous pas été nous mêmes demander un conseil aux vieux maîtres, aux Turgot, et aux Smith, à l’approche de la crise, comme cette Rome altière, qui implorait, aux jours du danger, l’appui de ses grands hommes exilés. En voilà bien assez pour porter haut la mémoire des Cobden, des Bright, des Wilson, des Villiers, et la venger des tristes et mensongères attaques, dont on voudrait la ternir sous prétexte de féodalité industrielle, d’oppression de l’ouvrier, etc., —toutes choses que la liberté du commerce est appelée à balayer progressivement. A. F.