Page:Ricardo - Œuvres complètes, Collection des principaux économistes,13.djvu/51

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fort utile. J’ai essayé deux fois de parler, mais je l’ai fait de la manière la plus embarrassée, et je n’ai guère l’espoir de vaincre l’épouvante qui me saisit dès que j’entends ma voix. » On lit dans une autre lettre en date du 22 juin 1819 : « Je vous remercie des efforts que vous faites pour m’inspirer un peu de courage. L’indulgence de la Chambre a diminué pour moi la difficulté de parler, mais je vois encore tant d’obstacles et de si terribles, que je crains bien que ce ne soit sagesse de ma part de m’en tenir à des votes silencieux. »

Tout prouve qu’il fut alors trop sévère envers lui-même. En effet, le jour où il parut à la tribune pour la première fois, le 24 mai 1819, la Chambre avait à statuer sur la reprise des paiements en argent, proposée par M. Peel. Il ne se leva qu’après avoir été appelé hautement de toutes les parties de la salle ; et son maiden speech, balbutié à force d’émotion, fit voir que l’orateur ne serait pas au-dessous de l’écrivain, et que la tribune anglaise avait fait conquête d’un beau talent en même temps que d’un beau caractère. Ses progrès, d’ailleurs, furent rapides ; il se familiarisa sans peine avec ces grondements sourds des grandes réunions, avec cette palpitation électrique des auditeurs, ces bruits, ces trépignements, ces chuchotements où l’orateur croit entendre l’ironie qui le déchire, et surtout ce silence solennel, plus terrible cent fois que les plus houleuses séances. Nous ne saurions invoquer, d’ailleurs, à l’appui de la supériorité de Ricardo, un témoignage plus illustre, plus décisif que celui de lord Brougham, ce vétéran de la réforme électorale dont l’intarissable éloquence roule tant de brillantes images semées de tant de sarcasmes. Voici ce que l’illustre ami de Grey a dit de notre auteur :

« Sa parole avait un remarquable cachet de distinction. Le style en était clair, simple, correct ; la trame fortement tissue et enrichie de faits et de documents précieux. Il s’abstenait dans les questions qui n’avaient pas été l’objet de ses longues méditations, et lorsqu’il parlait sur des événements et des lois intéressant l’Église ou la politique générale, il semblait obéir à un devoir de conscience et à la franchise invétérée de son esprit. Aussi peu d’hommes ont exercé sur le Parlement une action plus réelle, plus sérieuse ; peu d’hommes ont commandé aussi vivement l’attention, et comme il n’avait pour captiver ses auditeurs ni entraînantes inspirations, ni gracieux propos, on peut considérer cette influence comme le triomphe de la raison, de l’intégrité, du talent.» Il y avait en lui, ajouterons-nous, une simplicité noble et une douceur qui gagnaient les âmes et lui attiraient le respect de tous les partis, même du parti ministériel qu’il combattit constamment. Il ne voulut accepter le joug d’aucune camarilla politique, et tout en votent avec l’opposition, parfois même avec les radicaux, — comme pour le vote au scrutin secret, discours du 24 avril 1823, et pour la réforme électorale, — il ne fut ni whig, ni radical. Sa tactique fut celle de sa raison et non celle de son ambition ou de l’ambition des autres. Et comme cet homme de génie qui porte au front la triple auréole de l’o-