Page:Ricci - Trigault -Histoire de l'expédition chrestienne au royaume de la Chine, Rache, 1617.djvu/90

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vaines promesses la bonne fortune  : & souvent les aveugles, & non seulement les hommes plus abjectz, mais aussi les chetifves femmelettes usent de ceste tromperie  : à fin que l’Evangile soit accomplie selon la lettre ; Ils sont aveugles, & conducteurs des aveugles. Et non seulement les lieux particuliers sont remplis de ceste racaille ; mais les villes capitales mesmes, & les cours sont farcies de ceste ordure, & ne font gain d’aucune autre chose, nourrissent abondamment des nombreuses familles, & plusieurs en amassent des grandes richesses. Car les grandz & les petis, les nobles & roturiers, les doctes & ignorans les honorent tous ; voire le Roy mesme & tous les Mandarins & principaux du Royaume.

On peut par tout ceci aisement juger combien ilz prennent d’augures du gazouil des oiseaux ; combien ilz sont curieux de remarquer les premieres rencontres du matin ; combien superstitieusement ilz observent l’ombre des raions solaires sur les toictz des maisons. Ceci suffira en un mot  : tout ce que particulièrement il arrive d’infortune à chacun ou publiquement ez villes, Provinces, à tout le Royaume en general, ilz attribuent tout cela à leur mauvais destin, ou à quelque chose posée de travers ez maisons, ville métropolitaine, ou en la cour ; au lieu qu’ilz devroient justement rapporter la cause de tous leurs mal heurs à tant de pechez, par lesquelz & en privé & en public ilz attirent la vengeance du Ciel.

J’adjousteray quelques choses dont les Chinois font peu de scrupule, voire mesme (s’il plaist à Dieu) qu’ilz reputent à louange ; à fin qu’on puisse juger du reste ; conjurant encor ceux qui liront ceci, qu’ilz prient d’autant plus ardemment Dieu pour le salut de ce peuple, qui est enseveli dans les ténèbres espaisses de l’ignorance  : moins certes pour cela à condamner, mais de rien moins à plaindre.

Il y en a plusieurs qui d’autant qu’ilz ne se peuvent passer de compagnie de femme, se donnent eux mesmes en servage à des hommes riches, à fin d’avoir en mariage une des servantes domestiques ; d’où vient que les enfans aussi sont reduitz en perpétuelle servitude. Les autres ayans assez dequoy s’acheter une femme, l’achetent à prix d’argent, mais en après ne pouvant plus entretenir la famille croissante ilz debitent leurs filz & filles en servitude pour le mesme prix quasi qu’on vend une truie, ou chetive jument, qui revient à deux ou trois escus. Ce qu’aussi ilz sont sans grande necessité, & hors des detresses de la cherté, & les enfans sont pour jamais separez de leurs peres & meres & l’achepteur peut se servir de son serviteur en toute telle chose qu’il luy plaist. De la arrive que le Royaume est plein d’esclaves, non de ceux