Page:Ricci - Trigault -Histoire de l'expédition chrestienne au royaume de la Chine, Rache, 1617.djvu/94

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Les capitaines & soldatz, qui en temps de guerre & de paix font la garde, ont aussi leurs gardes, de peur qu'ilz n’excitent quelque remuement. Ilz ne commettent jamais des armeez nombreuses à un seul chef. Ilz sont tous souz la puissance du Senat des Philosophes. C’et lui qui paye les gage de l’armée & fournit les munitions, & ainsi les soldatz, & les apparelz & munitions de guerre ne sont pas souz mesmes chefz, à fin que par ce moyen on puisse mieux s’asseurer de la fidelité d’un chacun, Il n’y a gens plus vilz & faineans que les soldatz. Tous ceux qui manient les armes sont miserables, que ny l’amour de la patrie, ny la fidelité envers le Roy, ny le desir d’honneur les appelle aux armes ; mais la seule esperance de sustenter leur vie, non autrement qu’on faict avec un maistre mechanique. La pluspart sont esclaves du Roy, reduicz par leur propre meschanceté, ou les crimes de leurs ancestres, à une servitude continuelle. Ces mesmes, quand il n’y a pas exercice de guerre, practiquent tous les offices plus abjectz, comme de porte faix, muletier & tout autre service plus deshonneste. Les seulz chefz & capitaines acquierent quelque autorité parmi les autres. Leurs armes, tant offensives que defensives, sont du tout foibles & peu nuisibles, & n’ont qu’une apparence fardée, à fin qu’aux monstres de guerre ilz ne semblent estre desarmez. Ausquelles monstres (comme j’ay dit cy dessus) les soldatz & les chefs des soldats mesmes sont fouettez par les Magistratz Philosophes de mesme que les enfans en l’escole, sans aucun esgard de dignité ou condition.

Je fermeray ce chapitre (afin que je parle proprement) par deux folies des Chinois, qui ont pénétré esgalement par toutes les Provinces du Royaume, & principalement saisi plusieurs grands. L’une tasche de tirer de l’argent de quelque autre metal ; l’autre pour la conservation de vie, pensant de chasser la mort, aspire à l’immortalité. Ils content que les preceptes de l’une & de l’autre ont esté premièrement inventez, & puis donnez en tradition par certains anciens qu’ils tiennent au rang des Saincts, lesquelz ilz disent faussement apres avoir fait plusieurs actes vertueux & utiles au public estre volez au ciel en corps & en ame, lors qu’ils estoient las de vivre ça bas. Il y a en ce temps un nombre infini de livres de ces deux sciences, ou plus veritablement impostures, les uns imprimez les autres escrits a la main. Mais ceux-cy ont acquis plus d'authorité.

Et de la premiere espece de folie on ne peut rien dire avec plus de verité, sinon que ces Alchimistes tres-avares soufflent aussi tous leurs biens en fumée, tant s’en faut qu’ilz acquierent ceux qu’ils recherchoient avec tant d’ambition. Car les riches apres avoir consumé plusieurs milliers d’escus en l’aprest de cette tromperie, sont tous les jours