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où il devait payer cher de tels écarts. Il en était là vers 1870-71 et les années suivantes, quand je le connus. Mais si Édouard Richard n’étudiait plus beaucoup, il avait bonne mémoire, et cette vertu du méditatif qui allait si bien à son esprit ne pouvait manquer de grandir avec le temps. Curieux par état — les oisifs le sont tous — avide de savoir, possédant un esprit compréhensif et une manière libre d’envisager tous les sujets, adonné aux spéculations de tout genre, sans préjugés, la causerie, surtout la causerie politique, était son éternel délassement. Que de problèmes il aimait à creuser ! Il pouvait deviser sans fin sur les questions d’histoire, de religion, de progrès, de liberté, etc. Les choses de l’art lui étaient peu familières, les penchants naturels de son esprit le portant peu vers les fantaisies légères de l’imagination. Il était pourtant curieux de musique à ses heures, mais la musique même pour lui était plutôt intéressante comme phénomène révélateur du caractère et de l’âme, que comme délassement d’artiste. Le littérateur, si peu qu’il ait produit, en dehors de sa grande Histoire, marque du goût. Sa manière a de l’élégance ; elle atteste particulièrement un caractère noble et un esprit ouvert. Il y aurait plaisir à esquisser pleinement cette figure originale du penseur, très doux, quelque peu adonné au songe. En 1872, Richard ne sachant qu’inventer pour échapper à l’ennui, parvenait à organiser une grande assemblée à laquelle des théoriciens, de beaux parleurs, devaient prendre part. La réunion avait lieu à Princeville. L’on trouverait probablement, dans les journaux du temps, des détails piquants sur cette réunion extraordinaire. Parmi les assistants figuraient Lucien Turcotte, Gérin-Lajoie, Arthur Buies. Des discours éloquents étaient prononcés par Gérin-Lajoie et d’autres par Richard lui-même. Lucien Turcotte déclina l’honneur de parler, au grand désappointement de tous, mais Buies était là. Il ne se fit pas prier. Il prononça, ce jour-là, une harangue que tout le monde ne dut pas comprendre, mais une harangue à laquelle on applaudit beaucoup. La péroraison, surtout, fut vibrante. Le bras tendu, Buies terminait par ces paroles prophétiques : « Un jour viendra où la liberté luira comme une vaste aurore au-dessus des peuples… » Quand on est jeune on retient ces mouvements qui font frémir. Il serait difficile de dire quel fut le résultat du grand conventum politique. Je ne crois pas que l’on comprit grand’chose au discours de Richard.

Ces dispositions d’esprit, chez lui, cette tendance accusée vers l’examen des divers problèmes sociaux, pour ne pas toujours revêtir une forme très pratique, n’en attestaient pas moins l’activité de la pensée. Après avoir habité quelque temps l’Ouest, pays neuf, aux grands horizons, où le climat, le mouvement des affaires auquel il se mêlait, devaient heureusement influer sur sa santé, Richard put reprendre des études longtemps interrompues, et l’on sait avec quel fruit.

Ayant vécu son enfance au milieu de descendants d’Acadiens, notre ami avait souvent entendu parler du pays ancestral, de l’année du « grand dérangement ». Un de ses vieux parents, Raphaël Richard, tenait de la bouche même de l’une des déportées l’histoire si lugubre du départ de Grand-Pré. L’écrivain nous dit dans son livre les impressions profondes que son jeune esprit en avait gardées. Ces traditions mélancoliques que le récit du foyer avait lentement déposées dans son âme, ne devaient pas se perdre. Un jour,