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à la prudence la plus élémentaire, et l’on ne se serait pas fait faute non plus de nier les conditions en temps opportun. Or, les gouverneurs les plus antipathiques aux Acadiens, Cornwallis, en 1749, et l’auteur même de la déportation, Lawrence, admettent les réserves de la part des Acadiens. Mascarène et Hopson, deux autres gouverneurs, le premier en 1748, le second en 1752, les admettent aussi. C’est enfin à compter du moment où ce serment est pris que les Acadiens sont désignés sous le nom de « Français neutres », « French Neutrals ». L’hypothèse la plus probable est donc qu’il y a eu fraude de la part des autorités.

De 1725 à 1740, espace de 15 années, Richard note ce fait que pas un seul écrit de la part des Acadiens ou de leurs prêtres ne paraît aux archives. D’autre part, les lettres qui contiennent des plaintes contre eux, et encore quelques-unes sont altérées, existent dans le grand volume. L’on conçoit quel labeur a dû s’imposer le critique pour mettre à nu tant d’artifices. Armstrong, dont le règne devait peser si lourdement sur ce peuple, finit par le suicide, décembre 1739. C’est un des gouverneurs les plus tyranniques qu’ait eus l’Acadie.

Mascarène, qui lui succède, semble, par la douceur de son administration, le père de ses sujets. Il informe le duc de Newcastle des excellentes dispositions des Acadiens. Pendant qu’il est aux affaires, en 1744, éclate la guerre entre l’Angleterre et la France. Quatre fois l’Acadie est envahie ; Annapolis est trois fois assiégée. La neutralité fidèle des habitants sauve le pays. Si les Acadiens eussent cédé au ressentiment, c’en était fait des Anglais. C’est la coutume des colonies françaises d’Amérique de jouer de ces tours à l’Angleterre. Les Acadiens en ont les premiers donné l’exemple. Après eux sont venus les Canadiens, en 1775 et en 1812.

Mais ces services avanceront-ils la cause acadienne ? Vers l’année 1746, Shirley, gouverneur du Massachusetts, soumet aux autorités de Londres le plan de convertir les Acadiens à la Réforme, d’implanter des colons anglais parmi eux et de leur concéder les terres qui appartiennent aux habitants.

Le duc de New Castle répudie, naturellement, les visées du gouverneur, mais ce dernier n’en demeure pas moins attaché à son projet. Toutes ces menées, qui annoncent de loin la tempête, sont clairement exposées par Richard.

En 1749, les Anglais fondent la ville d’Halifax, où bientôt siégera le Conseil administratif de la Province. Cette fondation d’une ville dans la fameuse baie de Chibouctou devait être un appoint considérable pour les Anglais.

Près de 40 ans se sont écoulés depuis le Traité d’Utrecht. La population acadienne, nonobstant ses épreuves, n’a pas cessé de s’accroître. En 1713, elle était de 2,500 âmes ; en 1739, de 7,114, et 10 ans après, en 1749, de 12,500. — De ce nombre, environ 3,500 habitent le territoire français, au nord.

Le règne de Mascarène a été paisible. Avec Cornwallis, qui lui succède, renaît la vieille querelle du serment. Le gouverneur menace les Acadiens de confisquer leurs biens. Les choses tournant contre son gré, Cornwallis, dans un premier moment de frayeur, veut saisir hommes, femmes et enfants pour avoir des otages. Encore un peu, et l’émigration allait être générale.

Quelle situation pour ces pauvres enfants du sol, ne demandant qu’à vivre