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teaux à l’Île du Prince-Édouard, où il s’empare de tous les habitants qu’il peut trouver. Pour que les autorités de Londres soient impliquées dans ces actes de piraterie ouverte qui durent si longtemps, vraiment qu’exige-t-on ? Veut-on que le Cabinet de Londres se transporte sur les lieux pour pousser les victimes à la mer ? Sans doute, sa diplomatie hésite, tâtonne, elle fait mine de ne pas saisir toute la portée des rapports qu’on lui soumet ; elle va même, à certains moments, jusqu’à s’opposer aux projets que l’on médite, mais à qui fera-t-on croire aujourd’hui que ces politiciens à l’œil ouvert ignorent ce qui se complote à Halifax ou à Boston ? Un secrétaire d’État, Craggs, a eu l’indiscrétion, depuis longtemps, d’approuver la déportation des Acadiens. Chose étrange, parce que ce personnage est suspect, Richard n’y veut voir aucune preuve que Londres soit renseigné. Au surplus, l’histoire contient des faits qui ne manquent pas d’importance pour exonérer le Cabinet de tout blâme, et l’opinion de l’écrivain est partagée par bon nombre de publicistes, parmi lesquels quelques Acadiens, et Casgrain lui-même. Elle ne l’est pas par Rameau, qui a consacré 40 ans de sa vie à l’étude de l’histoire acadienne et qui, de l’avis de Richard, est le mieux informé et le plus complet des écrivains en la matière. Elle ne l’est pas davantage par les critiques américains, si je m’en rapporte à certaines études de l’ouvrage de Richard. Du reste, il est assez instructif de rechercher, ne fut-ce que très sommairement, le sentiment anglais pour les Acadiens depuis la dispersion.

Voici que l’Acadie a été transformée en désert. Il reste à peine 2,000 Acadiens dispersés dans les bois ou autres endroits inaccessibles. Les terres sont libres, appel est fait aux sujets de Sa Majesté, dans la Nouvelle-Angleterre ou ailleurs, pour venir remplacer les déportés. Oh ! la distribution et le partage sont commencés. Lawrence a choisi des chevaux pour les expédier je ne sais plus à quel marché. Les membres du Conseil se sont attribués chacun 20,000 acres de terre. Je cherche en vain l’émotion. Où sont les doléances du cabinet londonien ? Où ses protestations ? La France fera un procès à Bigot et à ses complices, dont plusieurs seront punis, à commencer par l’intendant lui-même. Belcher et Wilmot, deux membres du conseil de Lawrence, au contraire, sont faits successivement gouverneurs généraux du pays. Quant à Armstrong et à Lawrence, on peut assez bien juger quel eût été leur sort, s’ils eussent assez vécu pour récolter le fruit de leurs exploits.

Richard concède qu’en 1766 les Lords du commerce sont au fait de tout. Cela aurait pris 11 ans ? L’historien canadien oublie, évidemment, ce qu’il écrit, en suivant les Acadiens exilés. Il oublie par exemple, qu’une partie assez notable des victimes a traversé l’Angleterre après avoir erré, ici et là, tombant sur les chemins. Je ne veux citer qu’un document :

« Lettre des Lords du commerce au gouverneur Lawrence, le 8 juillet 1756 : — Je cite dans la langue où c’est écrit :

« Notwithstanding what you say in your letter of the Acadians being received in the several provinces to which they were sent, we must inform you (le Cabinet de Londres qui informe Lawrence !) that several hundreds of them have since been sent over here from Virginia, and several from South Carolina,