Page:Richard - Acadie, reconstitution d'un chapitre perdu de l'histoire d'Amérique, Tome 3, 1916.djvu/83

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marcher vers le rivage pour y être embarqués, ils se récrièrent et refusèrent d’obéir. On eut beau les commander et les menacer, tous s’obstinèrent dans leur révolte avec des cris et une agitation extrême, disant avec raison que, par ce procédé barbare, on séparait le fils du père, le frère du frère. Ce fut là le commencement de cette dislocation des familles qui n’a pas d’excuse, et qui a marqué d’une tache ineffaçable le nom de ses auteurs. Quand on sait qu’une

    s’avancer sur les Français. Je commandai moi-même aux quatre rangées de droite des prisonniers, composées de vingt-quatre hommes, de se séparer du reste ; je saisis l’un d’entre eux qui empêchait les autres d’avancer et je lui ordonnai de marcher. Il obéit et les autres le suivirent, mais lentement. Ils s’avançaient en priant, en chantant et en se lamentant, et sur tout le parcours (un mille et demi) les femmes et les enfants à genoux priaient et faisaient entendre de grandes lamentations. (Dans le texte original de Winslow, aux archives de la Mass. Hist. Soc, les mots great lamentations ont été soulignés et vis-à-vis ont été mis à la marge ces deux mots : no wonder !)

    J’ordonnai ensuite à ceux qui restaient, de choisir parmi eux cent-neuf hommes mariés qui devaient être embarqués après les jeunes gens. La glace était rompue et le nombre indiqué fut rassemblé sous la surveillance du capitaine Adams. J’ordonnai ensuite au capitaine Osgood aidé d’un subalterne et de 80 sous-officiers et soldats, de les escorter, mais lors de l’embarquement le capitaine Osgood constata qu’il n’y en avait que 89 au lieu de 109. De sorte que le nombre de prisonniers mis à bord ce jour-là était de 230. Ainsi se termina cette pénible tâche qui donna lieu à une scène navrante. Le capitaine Adams donna ordre aux transports de descendre la rivière Gaspareau et de jeter l’ancre à l’embouchure de cette rivière et de la rivière Piziquid. Je fis alors connaître à la population française qu’il était loisible aux familles et aux amis des prisonniers de fournir les vivres dont ceux-ci avaient besoin à bord des transports ou de me laisser le soin de les nourrir aux frais du roi. Comme ils décidèrent de fournir la subsistance aux prisonniers, je donnai ordre à tous les bateaux de profiter des marées de chaque jour pour venir chercher les vivres qu’apporteraient les femmes et les enfants pour les prisonniers à bord des navires, et d’envoyer un prisonnier sur chaque bateau pour les recevoir et les distribuer ensuite à chaque personne à laquelle ils étaient destinés ; et en outre, de transporter sur les bateaux en aussi grand nombre que possible, les amis qui désiraient visiter les prisonniers sur les navires. »

    J. Winslow.