Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/111

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volontaire, j’ose humblement présumer qu’on n’exigera point de moi que je produise la lettre. Il me semble que la prudence et l’honneur me le défendent, parce que le style en est violent. M Lovelace ayant appris (par d’autres voies, je vous assure, que par la mienne ou par celle d’Hannah) une partie des rigueurs avec lesquelles je suis traitée, se croit autorisé à les mettre sur son compte, par quelques discours de la même violence qui sont échappés à quelques-uns de mes proches.

Me dispenser de lui répondre, c’est le mettre au désespoir, et lui donner lieu de croire tous ses ressentimens justifiés, quoique je sois fort éloignée d’en avoir la même opinion. Si je lui fais réponse, et si, par considération pour moi, il prend le parti de la patience, ayez la bonté, madame, de considérer les obligations qu’il se flattera de m’avoir imposées. Je ne vous prierais pas de faire cette réflexion, si j’étais aussi prévenue qu’on le suppose en sa faveur. Mais, pour vous marquer encore mieux combien je suis éloignée de la prévention qu’on m’attribue, je vous demande en grâce, madame, de considérer si l’offre d’embrasser le célibat, que je vous ai faite à vous-même, et que j’exécuterai religieusement, n’est pas, après tout, le meilleur moyen de nous délivrer honnêtement de ses prétentions. Renoncer à lui, sans déclarer que je ne serai jamais à M Solmes, c’est lui faire conclure que, dans les fâcheuses circonstances où je suis, j’ai pris le parti de me déterminer en faveur de son rival.

Si ces représentations ne paroissent d’aucun poids, il ne reste, madame, qu’à faire l’essai des systêmes de mon frère, et je me résignerai à ma destinée, avec toute la patience que je tâcherai d’obtenir du ciel par mes prières. Ainsi, laissant tout à votre prudence, avec le soin d’examiner s’il convient, ou non, de consulter mon père et mes oncles sur ce que je prends la liberté de vous écrire ; si je dois répondre, ou non, à la lettre de M Lovelace ; et par qui, dans le premier cas, ma réponse lui doit être envoyée. Je demeure, madame, votre très-malheureuse, mais toujours très-obéissante fille, Clarisse Harlove.

Mercredi au matin.

On m’apporte à ce moment la réponse de ma mère. Elle m’ordonne, comme vous verrez, de la jeter au feu, mais comme je la crois sûrement entre vos mains, et que vous vous garderez bien de la faire voir à personne, ses intentions n’en seront pas moins remplies. Elle est sans date et sans adresse.

Clarisse,

ne dites pas que tout le blâme et toute la peine retombent sur vous. J’ai plus de part que vous à l’un et à l’autre, et je suis bien plus innocente. Lorsque votre opiniâtreté est égale à la passion de tout autre, ne blâmez pas votre frère. Nous avions raison de croire qu’Hannah servait à vos correspondances. à présent qu’elle est congédiée, et qu’apparemment vous ne pourrez plus écrire à Miss Howe, ni elle à vous, sans notre participation, c’est une inquiétude de moins. Je n’avais d’ailleurs aucun mécontentement d’Hannah. Si je ne le lui ai pas dit à elle-même, c’est que je pouvais être entendue lorsqu’elle est venue prendre congé de moi. J’ai même élevé la voix pour lui recommander, dans quelque maison qu’elle puisse servir, s’il s’y trouve de jeunes filles, de ne pas entrer dans leurs correspondances clandestines. Mais je lui ai glissé deux guinées dans la