Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/117

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C’est ce qu’il faut voir. Croyez-vous qu’ils en puissent user plus mal qu’ils ne font avec vous ? D’ailleurs, n’est-ce pas votre droit. Et n’abusent-ils pas de votre propre générosité pour vous opprimer ? Votre oncle Harlove est un des deux exécuteurs testamentaires ; votre cousin Morden est l’autre ; insistez sur votre droit avec votre oncle ? écrivez à votre cousin. J’ose vous promettre que vos persécuteurs changeront bientôt de conduite.

Votre insolent frère, à quel titre ose-t-il vous chagriner ? Si j’étais sa sœur (je voudrais l’être pour un mois, et pas plus long-temps), je lui apprendrais bientôt à vivre. Je m’établirais dans la demeure qui m’apartient, pour y exécuter mes charmans systêmes, et rendre tout le monde heureux autour de moi. J’aurais bientôt un carrosse. Je verrais ma famille, quand elle s’en rendrait digne. Mais lorsque mon frère et ma sœur prendraient des airs trop hauts, je leur ferais connaître que je suis leur sœur et non leur servante ; et si cette déclaration ne suffisait pas, je leur fermerais ma porte, et je leur dirais de se tenir compagnie l’un à l’autre.

Il faut convenir néanmoins que cet excellent frère et cette aimable sœur, jugeant des choses comme il convient à de petits esprits, tels qu’ils le sont tous deux, ont quelque raison de vous traiter si mal. En mettant à part l’amour méprisé d’un côté, et l’avarice de l’autre, quelle mortification n’est-ce pas depuis long-temps pour eux de se voir éclipsés par une sœur cadette ? Un soleil éclatant dans une famille ? Entre des lumières si foibles ! Comment l’auraient-ils pu supporter ? Entr’eux, ma chère, ils ont dû vous regarder comme un prodige ; et les prodiges, comme vous savez, obtiennent bien notre admiration, mais ne s’attirent guères notre amour. La distance entre vous et eux est immense. Votre lumière leur blesse les yeux. Quelle ombre le pur éclat de votre mérite ne doit-il pas jeter sur eux ? Est-il donc bien étonnant qu’ils embrassent la première occasion de vous rabaisser, s’ils le peuvent, à leur niveau ?

Attendez-vous, ma chère, à vous voir presser de plus en plus de ce côté-là, à proportion qu’on vous trouvera disposée à le souffrir. à l’égard de cet odieux Solmes, je ne suis pas surprise de votre aversion pour lui. Elle me parait si sincère, qu’il est inutile de rien dire qui puisse servir à l’augmenter. Cependant, qui peut résister à ses propres talens ? Un des miens, comme je vous l’ai déjà dit, est de peindre les laides ressemblances. Lâcherai-je la bride à mon pinceau ? Oui ; car je veux justifier votre antipathie par l’opinion que j’ai du personnage, et vous faire connaître aussi que j’approuve, et que j’approuverai toujours, avec admiration, la fermeté de votre caractère.

Je me suis trouvée deux fois dans sa compagnie ; et je me souviens qu’une des deux, votre Lovelace y était aussi. Il n’est pas besoin de vous dire, malgré votre jolie curiosité (qui n’est pourtant, comme vous savez, qu’une curiosité

toute simple), la différence infinie qui est entr’eux.

Lovelace amusa la compagnie, avec sa gaieté ordinaire, et fit rire tout le monde par ses récits. C’était avant que cette énorme créature eût été proposée pour vous. Solmes rit aussi ; mais ce fut d’une manière de rire qui lui est propre ; car je m’imagine que les trois premières du moins de ses années, n’ont été que des cris continuels ; et ses muscles n’ont jamais pu se remonter au ton de rire ordinaire. Son sourire (je doute que vous l’ayez jamais vu sourire, ou du moins que vous lui en ayez jamais