Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/123

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si, vous la voyant aimer un peu moins, j’étais bien sûre que vous m’aimez plus qu’elle.

Votre mère vous a déclaré que vous aurez à souffrir de rudes épreuves ; que vous êtes désormais sous la discipline de votre père (ces termes seuls sont capables de m’inspirer du mépris pour ceux qui donnent occasion de les employer) ; qu’il n’est plus en son pouvoir de vous secourir et que, si vous avez quelque faveur à espérer, ce n’est plus que par la médiation de vos oncles. Je suppose que vous écrirez à ces deux arbitres de votre sort, puisqu’on vous a défendu de les voir. Mais est-il possible qu’une telle femme, une telle sœur, une telle mère, n’ait aucune influence dans sa propre famille ? Qui souhaitera de se marier, comme vous le dites si bien, lorsqu’il pourra vivre dans le célibat ? Ma bile recommence à s’échauffer. Reprenez vos droits, ma chère : c’est tout ce que je puis dire à présent ; de peur de vous offenser, lorsque j’ai le malheur de ne pouvoir vous servir.


Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

vendredi, 10 mars. Trouvez bon, ma chère, que je vous rappelle quelques endroits de votre lettre, qui me touchent sensiblement. En premier lieu, vous me permettrez de vous dire que, malgré l’abattement de mes esprits, je suis très-fâchée contre vos réflexions sur mes proches ; particulièrement contre celles qui regardent mon père et la mémoire de mon grand-père. Votre mère même n’échappe point au tranchant de votre censure. Dans le sentiment d’un cuisant chagrin, on s’emporte quelquefois à parler librement de ceux qu’on aime et qu’on honore le plus ; mais on n’est pas bien aise que d’autres prennent la même liberté. D’ailleurs vous avez un tour d’expression si vif contre tout ce que vous prenez en aversion, que lorsque ma chaleur est un peu refroidie, et que mes réflexions me font appercevoir à quoi j’ai donné occasion, je suis obligée de tourner mes reproches contre moi-même. Convenons donc qu’il me sera permis de vous adresser mes plaintes, lorsque je les croirai justifiées par ma situation ; mais que votre rôle sera d’adoucir l’amertume de mes chagrins, par des avis que personne n’entend mieux à donner que vous ; avec cet avantage extrême, que vous savez parfaitement quel prix j’y ai toujours attaché. Je ne puis désavouer que mon cœur ne soit flatté de me voir secondé par votre jugement, dans le mépris que je crois devoir à M Solmes. Cependant, permettez-moi de vous dire qu’il n’est pas si horrible que vous le représentez, du moins par la figure ; car, du côté de l’ame, tout ce que j’ai appris de lui me porte à croire que vous lui avez rendu justice. Mais votre talent est si singulier pour peindre, comme vous dites, les laides ressemblances, et votre vivacité si extraordinaire, que l’un et l’autre vous emportent quelquefois hors des bornes de la vraisemblance. En un mot, ma chère, je vous ai vue plus d’une fois prendre la plume, dans la résolution d’écrire tout ce que votre esprit, plutôt que la vérité, pourrait vous dicter de convenable à l’occasion. On pourrait penser qu’il m’appartient d’autant moins de vous quereller là-dessus, que vos dégoûts