Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/125

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pourrait nommer… je suis assez embarrassée à trouver un nom… qu’on pourrait nommer une sorte de goût conditionnel, ou quelque chose d’approchant. Mais, pour le nom d’amour, tout légitime et tout charmant qu’il est dans plusieurs cas, tels que celui de la parenté, celui de la société, et plus encore dans le cas de nos devoirs suprêmes, où il mérite proprement le nom de divin, il me semble que, borné au sens étroit et particulier, qui ne regarde que nous-mêmes, le son n’en est pas fort agréable. Traitez-moi aussi librement que vous le souhaiterez sur les autres points. Cette liberté, comme je vous l’ai dit, ne fera qu’augmenter mon amitié. Mais je voudrais, pour l’honneur de notre sexe, que, soit qu’il soit question de moi ou d’une autre, vous ne laissassiez pas couler si facilement, de votre bouche ou de votre plume, l’imputation d’amour ; parce que c’est un double triomphe pour les hommes, qu’une femme de votre délicatesse, et aussi pleine de mépris pour eux que vous voulez qu’on le pense, puisse leur livrer en quelque sorte une amie, comme une sotte créature malade d’amour, avec une espèce de joie de sa foiblesse. J’aurais quelques autres observations à faire sur vos deux dernières lettres, si j’avais l’esprit plus libre. J’ai voulu m’arrêter seulement aux endroits qui m’avoient frappée le plus, et dont j’ai cru ne pouvoir trop tôt vous avertir. Nous reviendrons à ce qui se passe ici ; mais ce sera dans une autre lettre.


Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

samedi, 11 mars. Il m’est venu tant de messages insultans de la part de mon frère et de ma sœur, et des déclarations de guerre si ouvertes, annoncées par Betty Barnes, avec son effronterie ordinaire, qu’avant que de m’adresser à mes oncles, suivant l’ouverture que ma mère m’a donnée dans sa lettre, j’ai jugé à propos de leur faire mes plaintes d’un procédé si peu fraternel. Mais je m’y suis prise d’une manière qui vous donnera beaucoup d’avantage sur moi, si vous continuez d’expliquer mes termes par quelques endroits de mes premières lettres. En un mot, vous aurez une plus belle occasion que jamais de me croire engagée bien loin en amour, si les raisons que j’ai eues de changer un peu de style, ne vous en font pas porter un jugement plus favorable. J’ai cru devoir entrer dans leurs propres idées, et puisqu’ils veulent absolument que je sois prévenue pour M Lovelace, je leur donne sujet de se confirmer dans leur opinion, plutôt que d’en douter. En peu de mots, voici les raisons de ce changement. Premièrement ils ont fondé leur principale batterie sur l’aveu que je leur ai fait d’avoir le cœur libre : et supposant ainsi que je n’ai rien à combattre, ils affectent de regarder ma résistance comme une pure obstination ; d’où ils concluent que mon aversion pour Solmes peut être aisément surmontée, et qu’elle doit l’être par l’obéissance que je dois à mon père, et par la considération du bien général de la famille. En second lieu, quoiqu’ils emploient cet argument pour me fermer la bouche, ils paroissent fort éloignés de s’en rapporter à mon aveu, et ils