Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/128

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voici la réponse de mon frère.

je prévois qu’on ne verra pas la fin de votre impertinent griffonnage, si je ne prends pas le parti de vous écrire. Je vous écris donc ; mais sans entrer en dispute avec un petit esprit plein de hardiesse et de présomption, c’est pour vous défendre de me tourmenter par votre joli galimatias. Je ne sais à quoi l’esprit est bon dans une femme, si ce n’est à lui faire prendre une ridicule estime d’elle-même, et à lui faire regarder tous les autres avec mépris. Le vôtre, miss l’effrontée, vous élève au-dessus de votre devoir, et vous apprend à mettre au-dessous de vous les leçons et les ordres de vos parens. Mais suivez la même route, miss ; votre mortification n’en sera que plus cuisante. C’est tout ce que j’ai à vous répondre, mon enfant ; elle le sera, ou j’y perdrai ma peine, si votre préférence continue pour cet infâme Lovelace, qui est justement détesté de toute votre famille. Nous voyons avec la dernière évidence, comme nous n’avions que trop de raisons de le soupçonner, qu’il a pris de fortes racines dans vos inclinations un peu précoces ; mais plus ces racines auront de force, plus on trouvera le moyen d’en employer pour arracher le vilain de votre cœur. Par rapport à moi, malgré votre impudent conseil, et les réflexions non moins impudentes qui le précédent, ce sera votre faute si vous ne me trouvez pas toujours votre ami et votre frère. Mais si vous continuez de vouloir un mari tel que Lovelace, attendez-vous à ne trouver jamais ni l’un ni l’autre dans James Harlove. il faut vous donner à présent une copie de ma lettre à ma sœur, et de sa réponse.

par quelle offense, ma chère sœur, ai-je pu mériter qu’au lieu d’employer tous vos efforts pour adoucir la colère de mon père, comme il est bien sûr que je l’aurais fait pour vous, si le malheureux cas où je me trouve eût été le vôtre, vous ayez le cœur assez dur pour allumer contre moi non-seulement la sienne, mais encore celle de ma mère ? Mettez-vous à ma place, ma chère Bella, et supposez qu’on voulût vous faire épouser M Lovelace, pour lequel on vous croit de l’antipathie ; ne regarderiez-vous pas cet ordre comme une loi bien fâcheuse ? Cependant votre dégoût pour M Lovelace ne saurait être plus grand que le mien pour M Solmes. L’amour et la haine ne sont pas des passions volontaires. Mon frère regarde, peut-être, comme la marque d’un esprit mâle, d’être insensible à la tendresse. Nous l’avons entendu, toutes deux, se vanter de n’avoir jamais aimé avec distinction ; et dominé comme il est par d’autres passions, rebuté d’ailleurs dans son premier essai, peut-être son cœur ne recevra-t-il jamais d’autres impressions. Qu’avec des inclinations si viriles, il condamne et il maltraite une malheureuse sœur, dans des circonstances où il satisfait par-là son antipathie et son ambition ; ce n’est pas une chose qui doive paraître si surprenante. Mais qu’une sœur abandonne la cause d’une sœur, et qu’elle se joigne à lui pour animer un père et une mère, dans un cas qui intéresse le sexe, et qui pourrait avoir été son propre cas ; en vérité, Bella, cette conduite n’est pas fort jolie. Nous nous souvenons toutes deux d’un tems ou M Lovelace passait pour un homme qu’on pouvait ramener, et où l’on était bien éloigné de regarder comme un crime l’espérance de le faire rentrer dans le chemin de la