Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/138

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quelque chose dans leurs prières. Mon espérance était de recevoir une invitation, ou de trouver du moins quelque prétexte pour les accompagner à leur retour, et de me procurer ainsi l’occasion de voir ma déesse ; car je m’imaginais qu’ils n’oseraient pas refuser les devoirs communs de la civilité. Mais il semble qu’à ma vue la terreur les ait saisis et qu’ils n’aient pu s’en rendre maîtres. Je remarquai certainement du trouble sur leurs visages, et qu’ils s’attendaient tous à quelque événement extraordinaire : ils ne se seraient pas trompés, si j’avais été plus sûr du cœur de leur fille. Cependant je ne pense pas à leur nuire ; pas même à blesser un cheveu de leurs têtes stupides. Vous aurez vos instructions par écrit, si l’occasion le demande. Mais après tout, je me figure qu’il suffira de vous montrer avec moi. Qu’on me trouve quatre hommes d’aussi bonne mine : un air aussi fier que celui de Mowbray, aussi vif, aussi mutin que celui de Belton ; aussi agréable et aussi pimpant que celui de Tourville ; aussi mâle et aussi militaire que le tien. Et moi votre chef. Où sont les ennemis que nous ne fassions pas trembler ? Enfans ! Il faut que chacun vienne accompagné d’un ou deux de ces valets choisis depuis long-temps pour leurs qualités semblables à celles des maîtres. Tu vois, ami, que j’ai écrit comme tu le désires ; écrit sur quelque chose, sur rien ; sur la vengeance que j’aime ; sur l’amour que je hais, parce qu’il est mon maître ; le diable sait sur quoi ; car, en jetant les yeux sur ma lettre, je suis étonnée de sa longueur. Qu’elle fût communiquée à personne, c’est à quoi je ne consentirais pas pour la rançon d’un roi. Mais tu m’as dit qu’il me suffisait de t’écrire pour te donner du plaisir. Prends-en donc. Je t’ordonne d’en prendre à me lire. Si ce n’est pas pour l’écrivain, ni pour ce qu’il t’écrit, que ce soit pour faire honneur à ta parole ; sur quoi, finissant en style royal, (car n’y a-t-il pas de l’apparence que, dans la grande affaire que j’entreprends, je serai ton roi et ton empereur) ? Je te dis gravement, adieu



Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

mardi, 12 mars. Je vous envoie la copie de mes lettres à mes deux oncles, avec les réponses ; et vous laissant le soin d’y faire vos remarques, je n’en ferai moi-même aucune. à M Jules Harlove. Samedi, 21 mars. Permettez-moi, mon très-honoré second père, comme vous m’avez appris à vous nommer dans mes heureux jours, d’implorer votre protection auprès de mon père, pour obtenir de sa bonté la dispense d’un commandement sur lequel il ne peut insister sans me rendre misérable toute ma vie. Toute ma vie ! Je le répète. Est-ce une bagatelle, mon cher oncle ? N’est-ce pas moi qui dois vivre avec l’homme qu’on me propose ? Est-ce une autre que moi ? Ne me laissera-t-on pas la liberté de juger, pour mon propre intérêt, si je puis ou si je ne puis pas vivre heureusement avec lui ? Supposons que ce malheur m’arrive : sera-t-il prudent de me plaindre