Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/143

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qualité de fils unique doit rendre précieuse, que de ne pas satisfaire des passions qu’il se croirait déshonoré de subjuguer, et pour lesquelles j’ose dire que son propre repos et celui d’autrui demanderaient qu’on eût moins d’indulgence ; sa conduite, dis-je, a-t-elle mérité, de moi en particulier, que je fasse le sacrifice du bonheur de ma vie, et qui le sait ? Celui peut être de mon bonheur éternel, pour contribuer au succès d’un plan, dont je m’engage volontiers, si l’on m’en accorde la permission, à démontrer, sinon l’absurdité, du moins l’incertitude et le défaut de vraisemblance ? J’appréhende, monsieur, que vous ne me trouviez trop de chaleur. Mais n’y suis-je pas forcée par l’occasion ? C’est pour en avoir mis trop peu dans mes oppositions, que je me suis attiré la disgrâce qui excite mes gémissemens. Passez quelque chose, je vous en conjure, à l’amertume d’un cœur qui se soulève un peu contre ses infortunes, parce que, se connaissant bien lui-même, il se rend témoignage qu’il ne les a pas méritées. Mais pourquoi me suis-je arrêtée si long-temps à la supposition que je suis prévenue en faveur d’une autre, lorsque j’ai déclaré à ma mère, comme je vous le déclare aussi, monsieur, que, si l’on cesse d’insister sur la personne de M Solmes, je suis prête à renoncer, par toutes sortes d’engagemens, et à l’autre, et à tout autre homme ; c’est-à-dire, à ne me marier jamais sans le consentement de mon père, de ma mère, de mes oncles, et de mon cousin Morden, en qualité d’exécuteur des dernières dispositions de mon grand-père. Pour ce qui regarde mon frère, on me permettra de dire que ses derniers traitemens ont été si peu fraternels, qu’ils ne lui donnent droit à rien de plus que mes civilités : et sur cette dette mutuelle, je puis ajouter qu’il est fort en arrière avec moi. Si je ne me suis pas expliquée assez nettement sur M Solmes, pour faire connaître que le dégoût que j’ai pour lui ne vient point de la prévention dont on m’accuse en faveur d’un autre, je déclare solemnellement que fût-il le seul homme qui existât dans la nature, je ne voudrais pas être sa femme. Comme il est nécessaire pour moi de mettre cette vérité hors de doute, à qui puis-je adresser mieux mes sincères explications, qu’à un oncle qui fait hautement profession d’ouverture de cœur et de sincérité. Cette raison m’encourage même à donner un peu plus d’étendue à quelques-unes de mes objections. Il me paraît, comme à tout le monde, que M Solmes a l’esprit extrêmement étroit, sans aucune sorte de capacité. Il est aussi grossier dans ses manières que dans sa figure. Son avarice est diabolique. Au milieu d’une immense fortune, il ne jouit de rien ; et n’étant pas mieux partagé du côté du cœur, il n’est sensible aux maux de personne. Sa propre sœur ne mène-t-elle pas une vie misérable ; qu’il pourrait rendre plus douce avec la moindre partie de son superflu. Et ne souffre-t-il pas qu’un oncle fort âgé, le frère de sa propre mère, ait obligation à des étrangers de la pauvre subsistance qu’il tire d’une demi-douzaine d’honnêtes familles ? Vous connaissez, monsieur, mon caractère ouvert, franc, communicatif. Quelle vie serait la mienne, dans un cercle si étroit et bornée uniquement à l’intérêt propre, hors duquel cette sorte d’économie ne me laisserait jamais sortir plus que lui-même. Un homme tel que lui, capable d’amour ! Oui, pour l’héritage de mon