Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/144

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grand-père, qui est situé, comme il l’a dit à plusieurs personnes (et comme il me l’a fait entendre à moi-même, avec cette espèce de plaisir que prend une ame basse à laisser voir que c’est son propre intérêt qui lui fait désirer quelque faveur d’autrui) dans un canton si favorable pour lui, qu’il servirait à faire valoir au double une partie considérable de son propre bien. L’idée de cette acquisition, par une alliance qui releverait un peu son obscurité, peut lui faire penser qu’il est capable d’amour, et lui persuader même qu’il en ressent. Mais ce n’est au plus qu’un amour subordonné. Les richesses seront toujours sa première passion. Celles qu’il possède ne lui ont été laissées qu’à ce titre, par un autre avare. Et l’on veut me faire renoncer à tous les goûts dont je fais mes délices, pour m’avilir à penser comme lui, ou pour mener la plus malheureuse vie du monde ! Pardonnez, monsieur, la dureté de ces expressions. On ménage quelquefois moins qu’on ne voudrait les personnes pour lesquelles on se sent du dégoût : lorsqu’on leur voit accorder une faveur dont on ne les croit pas dignes : et je suis plus excusable qu’une autre, dans le malheur que j’ai d’être pressée avec une violence qui ne me permet pas de choisir toujours mes termes. Quand cette peinture serait un peu trop forte, c’est assez que je me la représente sous ces couleurs, pour ne le voir jamais dans le jour sous lequel il m’est offert. Bien plus ; quant à l’épreuve, il pourrait se trouver dix fois meilleur que je l’ai représenté, et que je ne le crois de bonne foi, il ne laisserait pas d’être dix fois plus désagréable pour moi, qu’aucun autre homme. Je vous conjure donc, monsieur, de vous rendre l’avocat de votre nièce, pour la garantir d’un malheur qu’elle redoute plus que la mort. Mes deux oncles peuvent obtenir beaucoup de mon père, s’ils ont la bonté d’embrasser un peu mes intérêts. Soyez persuadé, monsieur, que ce n’est pas l’obstination qui me gouverne. C’est l’aversion ; c’est une aversion qu’il m’est impossible de vaincre. Dans le sentiment de l’obéissance que je dois à la volonté de mon père, je me suis efforcée de raisonner avec moi-même, et j’ai mis mon cœur à toutes sortes d’épreuves ; mais il se refuse à mes efforts. Il me reproche de le tenter en faveur d’un homme, qui, dans la vue sous laquelle il se présente à moi, n’a rien de supportable à mes yeux ; et qui, n’ignorant pas l’excès de mon aversion, ne serait pas capable d’une persécution si odieuse, s’il avait les sentimens d’un honnête homme. Puissiez-vous trouver assez de force à mes raisons pour en être attendri ! Vous les soutiendriez de votre crédit, et j’oserais tout en espérer. Si vous n’approuvez pas ma lettre, je serai bien malheureuse ! Cependant la justice m’oblige de vous écrire avec cette franchise, pour apprendre à M Solmes sur quoi il peut compter. Pardonnez-moi ce qu’une si longue apologie peut avoir eu d’ennuyeux pour vous. Souffrez qu’elle ait un peu de poids sur votre esprit et sur votre cœur. Vous obligerez à jamais votre, etc. . Clarisse Harlove. Réponse de M Antonin Harlove. Ma nièce Clary, vous auriez mieux fait de ne pas nous écrire, ou de n’écrire à aucun de nous. Pour moi, en particulier, le mieux aurait été de ne jamais m’entretenir du sujet sur lequel vous m’écrivez. celui qui