Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/158

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l’occasion. J’étais descendue au jardin, sous mes prétextes ordinaires, dans l’espérance de trouver quelque chose de vous au dépôt. Le chagrin de n’y rien appercevoir m’allait faire sortir du bûcher, lorsque j’ai entendu remuer quelque chose derrière les bûches. Jugez de ma surprise. Mais elle est devenue bien plus vive à la vue d’un homme qui s’est montré tout d’un coup à moi. Hélas ! Me suis-je dit aussi-tôt, voilà le fruit d’une correspondance illicite ! Au moment que je l’ai aperçu, il m’a conjurée de n’être point effrayée, et s’approchant plus vîte que je n’ai pu le fuir, il a ouvert un grand manteau, qui m’a laissé reconnaître, qui ? Quel autre que Monsieur Lovelace ? Il m’aurait été impossible de crier, et quand j’ai découvert que c’était un homme, et quand j’ai reconnu qui c’était : la voix m’avait abandonnée ; et si je n’avais saisi une poutre qui soutient le vieux toit, je serais tombée sans connaissance. Jusqu’à présent, comme vous savez, je l’avais tenu dans un juste éloignement. Mais, en reprenant mes esprits, jugez quelle doit avoir été ma première émotion, lorsque je me suis rappelé son caractère, sur le témoignage de toute ma famille ; son esprit entreprenant ; et que je me suis vue seule avec lui, dans un lieu si proche d’un chemin détourné, et si éloigné du château. Cependant ses manières respectueuses ont bientôt dissipé cette crainte, mais pour faire place à une autre, celle d’être aperçue avec lui, et de voir bientôt mon frère informé d’une si étrange aventure. Les conséquences naturelles, s’il n’y en avait pas d’autres à redouter, s’offraient en foule à mon imagination ; une prison plus étroite, la cessation absolue de notre correspondance, et un prétexte assez vraisemblable pour les plus violentes contraintes. D’un côté comme de l’autre, rien assurément ne pouvait justifier M Lovelace d’une entreprise si hardie. Aussitôt donc que j’ai été capable de parler, je lui ai fait connaître avec la plus vive chaleur combien je me tenais offensée ; je lui ai reproché qu’il lui importait peu de m’exposer au ressentiment de tous mes amis, pourvu que son impétueuse humeur fût satisfaite, et je lui ai commandé de se retirer sur le champ. Je me retirais moi-même avec précipitation, lorsqu’il s’est jeté à genoux devant moi, en me conjurant, les mains jointes, de lui accorder un seul moment. Il m’a déclaré qu’il ne s’était rendu coupable de cette témérité, que pour en éviter une beaucoup plus grande ; en un mot, qu’il ne pouvait supporter plus long-temps les insultes continuelles qu’il recevait de ma famille, et le chagrin de penser qu’il avait fait si peu de progrès dans mon estime, que le fruit de sa patience ne pouvait être que de me perdre pour toujours, et de se voir plus insulté que jamais par ceux qui triompheraient de sa perte. Il a, comme vous savez, les genoux fort souples, et la langue fort agile. Vous m’avez dit que c’est une de ses ruses, d’offenser souvent dans des choses légères, pour exercer son adresse à se justifier. Ce qu’il y a de certain, c’est que le mouvement qu’il a fait pour me retenir, et cette première partie de son apologie, ont été plus prompts que je ne puis vous le représenter. Il a continué avec la même ardeur : ses craintes étoient qu’un naturel aussi doux, aussi obligeant qu’il prétend que le mien l’est pour tout le monde, excepté pour lui, et mes principes d’obéissance, qui me portent à rendre ce que je crois devoir aux autres indépendamment de ce qu’ils