Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/163

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commerce de lettres avec lui, sur-tout depuis que cette correspondance m’avait été défendue : que le seul fruit agréable que je pensasse à tirer d’une entrevue que je n’avais ni prévue ni désirée, était de lui faire connaître que je me croyais désormais obligée de les supprimer ; et que j’espérais qu’à l’avenir il n’aurait pas recours à des menaces contre ma famille, pour me mettre dans la nécessité de lui répondre. Le jour était encore assez clair pour me faire appercevoir qu’il a pris un air fort grave après cette déclaration. Il attachait tant de prix, m’a-t-il dit, à un choix libre, et laissant les voies de la violence à Solmes, il avait tant de mépris pour cette indigne méthode, qu’il se haïroit lui-même, s’il était capable de penser jamais à m’engager par la frayeur. Cependant il y avait deux choses à considérer. Premièrement, les outrages qu’il recevait continuellement ; les espions qu’on entretenait auprès de lui, et dont il en avait découvert un ; les indignités qu’on étendait jusqu’à sa famille, et celles qu’on ne me faisait essuyer que par rapport à lui , comme on le déclarait ouvertement, sans quoi, il reconnaissait qu’il lui conviendrait mal de s’en ressentir pour moi sans ma permission (le rusé personnage a fort bien vu qu’il prêtait ici le flanc, s’il ne se couvrait par cette circonstance) ; toutes ces considérations lui faisaient une loi indispensable de marquer son juste ressentiment. Il me demandait à moi-même s’il était raisonnable qu’un homme d’honneur digérât tant d’insultes, à moins qu’il ne fût retenu par un motif tel que celui de me plaire ? En second lieu, il me priait de considérer si la situation où j’étais (prisonnière, forcée par toute ma famille de recevoir un mari indigne de moi ; et cela, au premier jour, soit que j’y consentisse ou non), admettait quelque délai dans les mesures qu’il me proposait de prendre, et qu’il ne me proposait que pour la dernière extrémité. D’ailleurs, l’offre de sa tante ne m’engageait à rien ; je pouvais accepter cette protection, sans me jeter dans la nécessité d’être à lui, si je trouvais dans la suite quelque sujet de reproche contre sa conduite. Je lui ai répondu que c’était s’abuser et que je ne pouvais m’abandonner à la protection de ses amis, sans donner lieu de conclure que j’avais d’autres vues. Et croirez-vous, a-t-il repris, que le public donne à présent une autre explication à la violence qui vous tient renfermée ? Vous devez considérer, mademoiselle, qu’il ne vous est plus libre de choisir, et que vous êtes au pouvoir de ceux (pourquoi leur donnerais-je le nom de parens ?) qui sont déterminés à vous faire exécuter leur volonté. Ce que je vous propose est de recevoir l’offre de ma tante, et de n’en faire usage qu’après avoir tout employé pour en éviter la nécessité. Permettez-moi d’ajouter que, si vous prenez ce moment pour rompre une correspondance sur laquelle tout mon espoir est fondé, et si vous êtes résolue de ne pas pourvoir au pire de tous les maux, il est évident que vous y succomberez. Le pire ! J’entends pour moi seul, car il ne saurait l’être pour vous. Alors (portant au front son poing fermé), comment pourrai-je soutenir seulement cette supposition ? Alors il sera donc vrai que vous serez à Solmes ? Mais, par tout ce qu’il y a de sacré ! Ni lui, ni votre frère, ni vos oncles, ne jouiront pas de leur triomphe. Que je sois confondu, s’ils en jouissent ! La violence de son emportement m’a effrayée. Je me retirais, dans mon juste ressentiment ; mais, se jetant encore une fois à mes pieds : au