Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/164

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nom du ciel, ne me quittez pas ! Ne me laissez point dans le désespoir où je suis ! Ce n’est pas le repentir de mon serment qui me fait tomber à vos pieds ; je le renouvelle, au contraire, dans cette horrible supposition. Mais ne pensez pas que ce soit une menace, pour vous faire pencher de mon côté par des craintes. Si votre cœur, a-t-il continué en se levant, vous porte à suivre la volonté de votre père, ou plutôt de votre frère, et à me préférer Solmes, je me vengerai assurément de ceux qui insultent et moi et les miens ; mais j’arracherai ensuite mon cœur de mes propres mains, ne fut-ce que pour le punir de son idolâtrie pour une femme capable de cette préférence. Je lui ai dit que je commençais à m’offenser beaucoup de ce langage ; mais qu’il pouvait s’assurer que jamais je ne serais à M Solmes, sans se croire en droit néanmoins de rien conclure en sa faveur, parce que j’avais fait la même déclaration à ma famille, dans la supposition même qu’il n’existât point d’autre homme au monde. Voulais-je du moins lui continuer l’honneur de ma correspondance ? Après l’espoir qu’il avait eu de faire un peu plus de progrès dans mon estime, il ne pourrait jamais supporter la perte de l’unique faveur qu’il eût obtenue. Je lui ai dit que, s’il contenait ses ressentimens à l’égard de ma famille, je voulais bien, pour quelque temps du moins, et jusqu’à la fin de mes disgrâces présentes, continuer une correspondance que mon cœur ne laissait pas de se reprocher… comme le sien lui reprochait (a repris l’impatiente créature, en m’interrompant) de supporter tout ce qu’il avait à souffrir, lorsqu’il considérait que cette nécessité lui étoit imposée, non par moi, pour qui les plus cruels tourmens lui seraient chers, mais par des… il a eu la modération de ne point achever. Je lui ai déclaré nettement qu’il ne devait s’en prendre qu’à lui-même, dont le caractère étoit si mal établi du côté des mœurs, qu’il n’avait donné que trop d’avantage à ses adversaires. Il n’y a pas beaucoup d’injustice, lui ai-je dit, à parler mal d’un homme qui ne fait lui-même aucun cas de sa réputation. Il m’a offert de se justifier ; mais je lui ai répondu que je voulais juger de lui par sa propre règle ; c’est-à-dire, par ses actions, sans lesquelles il y a peu de confiance à prendre aux paroles. Si ses ennemis, a-t-il repris, étoient moins puissans et moins déterminés, ou s’ils n’avoient pas déjà fait connaître leurs intentions par de cruelles violences, il aurait offert volontiers de se soumettre à six mois, à une année d’épreuve. Mais il était sûr que toutes leurs vues seraient remplies ou avortées dans l’espace d’un mois ; et je savais mieux que personne, s’il fallait espérer quelque changement du côté de mon père : il ne le connaissait pas, si j’avais cette espérance. Je lui ai dit qu’avant que de chercher d’autres protections, je voulais tenter tous les moyens que mon respect et le crédit qui pouvait me rester encore auprès de quelques personnes de ma famille seraient capables de m’inspirer ; et que, si rien ne tournait heureusement, je prendrais un parti dont je croyais le succès certain, qui serait de leur résigner la terre qui m’avait attiré tant d’envie. Il se soumettait, m’a-t-il dit, au désir que j’avais de faire l’essai de cette méthode. Il était fort éloigné de me proposer d’autres protections, avant que je fusse absolument forcée d’en chercher. Mais, très-chère