Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/168

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dans la balance, nous verrons quel côté pourra vraisemblablement l’emporter, ou plutôt quel côté l’emporte en effet. Il ne faut rien moins que la connaissance des plus intimes replis de votre cœur, pour satisfaire mon amitié. Sûrement vous n’êtes point effrayée de vous confier à vous-même un secret de cette nature. Si vous l’êtes, vous n’en avez que plus de raison de douter de moi. Mais j’ose dire que vous n’avouerez ni l’un ni l’autre ; et je veux bien m’imaginer qu’il n’y a point de fondement pour aucun de ces deux aveux. Ayez la bonté, ma chère, de faire une observation ; c’est que, si je me suis quelquefois donné des airs de raillerie qui vous ont fait jeter sérieusement les yeux autour de vous, dans le cas sur-tout où vous pouviez attendre de votre meilleure amie un tour de reflexion plus sérieux, ce n’a jamais été à l’occasion des endroits de vos lettres où vous vous êtes expliquée avec assez d’ouverture (ne vous alarmez pas, ma chère), pour ne laisser aucun doute de vos sentimens ; mais seulement lorsque vous avez affecté de la réserve, lorsque vous avez employé des tours nouveaux pour exprimer des choses communes, lorsque vous avez parlé de curiosité, de goût conditionnel, et que vous avez cherché à vous couvrir sous des termes qui auraient été à l’épreuve de toute autre pénétration que la mienne ; autant d’actes de trahison contre l’amitié suprême que nous nous sommes vouée mutuellement. Souvenez-vous que vous m’avez trouvée un moment en défaut. Vous fîtes valoir alors vos droits. Je vous confessai aussi-tôt, que je n’avais plus que mon orgueil pour défense contre l’amour ; car il est vrai, comme je vous le dis alors, que je ne pouvais soutenir l’idée qu’il fût au pouvoir d’aucun homme de me causer un seul moment d’inquiétude. D’ailleurs, l’homme que j’avais à combattre était bien éloigné de valoir le vôtre ; ainsi, je pouvais m’en prendre autant à mon imprudence qu’à l’ascendant qu’il avait sur moi. Bien plus (et vous vous en ferez, s’il vous plaît, l’application), vous me fîtes d’abord la guerre sur mes curiosités

et lorsque j’en

fus au goût conditionnel , vous vous souvenez de ce qui arriva ; le cœur cessa de me battre pour lui. Finissons. Mais à propos de ce que j’ai dit, avec vérité, que mon amant n’était point un homme charmant comme le vôtre, nous sommes quatre, Miss Bidulphe, Miss Loyd, Miss Campion et moi, qui vous demandons votre opinion sur une difficulté d’importance ; savoir, jusqu’à quel point la figure a droit de nous engager. Ce cas, au reste, n’est point étranger à votre situation : remarquez bien cela, pour employer le style de votre oncle Antonin. Nous demandons aussi s’il faut même compter la figure pour quelque chose, dans un homme qui en tire vanité ; puisque, suivant une de vos observations, cette vanité donne un juste sujet de douter du mérite intérieur. Vous, le modéle de notre sexe, à qui la beauté et les grâces ont été prodiguées, la vanité est un vice dont vous êtes aussi exempte que de tous les autres ; et vous en avez toujours été plus autorisée à soutenir qu’il est inexcusable, jusques dans une femme. Il faut vous apprendre que ce sujet a été vivement agité dans une de nos dernières conversations. Miss Loyd m’a priée de vous écrire, pour vous demander votre sentiment, auquel vous savez que nous avons toujours déféré dans nos petites disputes. J’espère que, trouvant quelquefois le temps de respirer sous le poids de vos peines vous aurez assez de liberté d’esprit pour répondre à notre attente. Personne ne répand plus de lumiè