Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/179

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deux vertueuses tantes et un oncle, dont il attend de si grands avantages, n’ont aucun ascendant sur lui : que, s’il a quelques qualités supportables, elles ont moins pour fondement, la vertu que l’orgueil : qu’en reconnaissant l’excellence des préceptes moraux, et faisant profession de croire des récompenses et des punitions dans un autre état, il ne laisse pas de vivre comme s’il méprisait les uns, et qu’il bravât les autres : l’apparence qu’il y a que la teinture de ses principes peut se communiquer à sa postérité : qu’étant informée de tout ce que je dis, et n’en ignorant pas l’importance, je serais plus inexcusable que dans le cas de l’ignorance, puisqu’une erreur contre le jugement est pire, infiniment pire, qu’un défaut de lumières dans la faculté qui juge : lorsque je me livre à toutes ces réflexions, je dois vous conjurer, ma chère, de demander au ciel, avec moi et pour moi, qu’il ne permette jamais que je sois forcée à des mesures indiscrètes, qui puissent me rendre inexcusable à mes propres yeux. C’est l’essentiel, après tout ; l’opinion du public ne doit tenir que le second rang. J’ai dit, à sa louange, qu’il est prêt à reconnaître ses fautes : cependant, j’ai de grandes restrictions à faire sur cet article. Il m’est venu quelquefois à l’esprit que cette ingénuité pourrait être attribuée à deux causes, peu capables l’une et l’autre d’exciter la confiance ; l’une, qu’il est tellement dominé par ses vices, qu’il ne pense pas même à les combattre ; la seconde, qu’il y a peut-être de la politique à passer condamnation sur une moitié de son caractère, pour mettre l’autre à couvert, tandis que la totalité peut ne rien valoir. Cette ruse arrête des objections auxquelles il serait embarrassé à répondre : elle lui attire l’honneur de l’ingénuité, lorsqu’il n’en peut obtenir d’autre, et que la discussion peut-être ne servirait qu’à lui faire découvrir d’autres vices. Vous conviendrez que je ne le ménage point ; mais tout ce que ses ennemis disent de lui ne saurait être faux. Je reprendrai la plume dans quelques momens. Quelquefois, si vous vous en souvenez, nous l’avons pris toutes deux pour un homme d’esprit des plus simples et des plus naïfs que nous eussions jamais connus. Dans d’autres tems, il nous a paru un des plus profonds et des plus rusés mortels avec qui nous eussions eu quelque familiarité : de sorte qu’après une visite où nous pensions l’avoir approfondi, il nous en rendait une autre où nous étions prêtes à le regarder comme un homme impénétrable. C’est une remarque, ma chère, qu’il faut compter parmi les ombres du tableau. Cependant, tout bien examiné, vous en avez jugé favorablement, jusqu’à soutenir que son principal défaut est un excès de franchise, qui lui fait négliger les apparences, et qu’il est trop étourdi pour être capable d’artifice. Vous avez soutenu que, lorsqu’il dit quelque chose de louable, il croit véritablement ce qu’il dit ; que ses changemens et sa légèreté sont l’effet de sa constitution, et doivent être mis sur le compte d’une santé florissante, et de la bonne intelligence d’un corps et d’une ame qui, suivant votre observation, se plaisent ensemble ; d’où vous avez conclu que, si ce bon accord de ses facultés corporelles et intellectuelles était réglé par la discrétion, c’est-à-dire, si sa vivacité pouvait se renfermer dans les bornes des obligations morales, il serait fort éloigné d’être un compagnon méprisable pour toute la vie. Pour moi, je vous disais alors, et je suis encore portée à croire, qu’il lui manque un cœur, et, par conséquent, que tout lui manque. Une tête