Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/198

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me feront jamais chercher des ressources contraires à sa volonté ; dût-il, me réduire à l’indigence, et me chasser de sa maison ; ce qui serait peut-être préférable pour moi, au chagrin d’y être emprisonnée et outragée comme je le suis. Sur ce point, chère nièce, m’a répondu ma tante, si vous étiez mariée, vous seriez obligée de vous conformer aux intentions de votre mari ; et si ce mari était M Lovelace, on ne saurait douter qu’il ne saisît ardemment l’occasion de jeter de nouveaux troubles dans les familles. Au fond, ma nièce, s’il avait une véritable considération pour vous, on n’entendrait point parler continuellement de ses bravades. Il passe pour un homme fort vindicatif. à votre place, Miss Clary, je craindrais, et même sans l’avoir offensé, qu’il ne fît quelque jour tomber sur moi cette vengeance dont il ne cesse point de menacer la famille. Ses menaces, ai-je repris, ne sont qu’un retour assez naturel pour celles qu’on lui fait tous les jours. Tout le monde n’est pas aussi disposé que moi à souffrir des insultes. Mais était-il moins connu qu’aujourd’hui, lorsqu’il fut introduit ici pour la première fois ? On était persuadé alors, que le mariage, que la discrétion d’une femme, produirait des miracles. Mais j’en ai trop dit, ai-je ajouté en me tournant vers ma sœur. D’ailleurs, je repète, comme je l’ai fait vingt fois, qu’il ne serait pas question de M Lovelace, si j’étais traitée généreusement. Ma tante, interrompant quelque réponse injurieuse de ma sœur, m’a représenté encore qu’on ne pouvait être tranquille, si l’on ne me voyait mariée. On assure, a-t-elle continué, que, pour appaiser M Lovelace, vous offrez de lui promettre que, si vous n’êtes pas sa femme, vous ne serez jamais celle de personne. C’est faire supposer que vous êtes fort avancée avec lui. J’avoue naturellement, ai-je répondu, que je n’ai pas connu de meilleure voie pour prévenir de nouveaux malheurs. Et si l’on ne veut pas que je pense à lui, il n’y a point d’autre homme au monde à qui je puisse penser favorablement. Cependant je donnerais volontiers tout ce que je possède, pour le voir engagé d’un autre côté. Oui, volontiers, Bella, quoique je vous voie sourire malignement. Cela peut être, Clary ; mais vous ne sauriez m’empêcher de sourire. si l’on ne veut pas que vous pensiez à lui,

a répété ma tante. J’entends ce langage, Miss Clary. Il est temps que je descende. Descendons-nous, Miss Harlove ? Je tâcherai d’engager votre père à permettre que ma sœur monte elle-même. Il en résultera peut-être quelque évènement plus heureux. Je prévois, a dit Bella, ce qui ne manquera pas d’en résulter. Ma mère et Clary se noieront dans leurs larmes ; mais avec cette différence dans les effets, que ma mère reviendra percée jusqu’au fond du cœur, et que ma sœur Clary n’en sera que plus endurcie de l’avantage qu’elle s’applaudira d’avoir obtenu sur la tendresse de ma mère. Si vous le voulez savoir, madame, c’est la raison qui a fait condamner cette jolie personne à garder sa chambre. Elle a pris ma tante par la main ; et moi, sans répliquer un seul mot, je leur ai laissé prendre à toutes deux le chemin de l’escalier.