Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/203

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défense. Ma sœur dit, que si l’on m’avait crue si brave , on n’aurait point engagé le combat avec moi. Ils ne savent comment concilier mon obstination supposée avec mon caractère établi, et leur espérance est de me fatiguer à force de varier leurs attaques. Vous voyez que mon frère est déterminé à me faire plier , ou à quitter le château d’Harlove pour ne le revoir jamais. La question se réduit à perdre un fils ou à faire plier une fille la plus perverse et la plus ingrate qu’on ait jamais vue ! Voilà le jour sous lequel les choses sont présentées. Elles seront poussées bien plus loin ; je m’y attends, et je n’en doute pas. Mais qui peut deviner qu’elles seront leurs nouvelles mesures ? Je ferai partir, avec cette lettre, ma réponse à la vôtre de dimanche dernier. Elle partira telle qu’elle est : car elle serait longue à copier, et je n’en ai pas le tems. Cependant je crains, ma chère, d’y avoir poussé mes libertés trop loin, dans plus d’un endroit. Mais je n’ai pas l’esprit assez tranquille, pour y rien changer. Ne soyez pas fâchée contre moi : je vous avertis que si vous pouvez en excuser un ou deux traits, ce sera parce qu’ils viennent de votre meilleure amie . Clarisse Harlove.



Miss Howe, à Miss Clarisse Harlove.

mercredi au soir, 22 de mars. Moi, fâchée ! Eh de quoi donc, ma chère ? Rien ne peut m’être plus agréable que ce que vous nommez vos libertés . J’admire seulement votre patience pour les miennes ; voilà tout ; et je regrette la peine que je vous ai donnée à me faire une si longue réponse sur le sujet en question malgré le plaisir que j’ai pris à la lire. Je suis persuadée que votre intention n’a jamais été d’user de réserve avec moi : premièrement, parce que vous le dites ; en second lieu, parce que vous n’avez pas encore été capable d’éclaircir votre situation à vos propres yeux, et que, persécutée, comme vous l’êtes, il vous est impossible de distinguer assez les effets de l’amour et de la persécution, pour assigner à chacune de ces deux causes les bornes de leur pouvoir. C’est ce que je crois vous avoir déjà fait entendre. Ainsi j’abandonne à présent cette question. Robert m’a dit que vous ne faisiez que mettre votre dernier paquet au dépôt, lorsqu’il l’a pris. Il y était allé une heure auparavant, sans y avoir rien trouvé. Il avait remarqué mon impatience ; et celle de m’apporter quelque chose de vous l’a fait roder quelque temps autour de vos murs. Ma cousine Jenny Desdale est ici, et veut passer cette nuit avec moi. Je n’aurai point le tems de vous répondre avec toute l’attention qui convient au sujet de vos lettres. Vous savez qu’avec elle, c’est un babil qui ne finit point. Cependant l’occasion qui l’amène est fort grave. Elle est venue pour engager ma mère à faire un voyage chez Madame Larkin , sa grand-mère, qui garde le lit depuis long-temps, et qui, reconnaissant enfin qu’elle est mortelle, pense à faire un testament. Malgré l’aversion qu’elle a eue jusqu’à présent pour cette cérémonie, elle y consent, à condition que ma mère, qui n’est qu’une parente éloignée, ne laissera pas d’y être présente, pour l’aider de ses conseils ; car on a