Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/207

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le plus propre à leur donner la protection dont elles ont besoin ; que plus elles ont de ce qu’on appellerait lâcheté dans les hommes, plus elles trouvent de charmes dans les caractères héroïques ; ce qui paroît assez dans leurs lectures, où elles prennent plaisir à rencontrer des obstacles vaincus, des batailles gagnées, et cinq ou six cens ennemis terrassés par la valeur d’un seul paladin ; enfin qu’elles souhaiteraient que l’homme qu’elles aiment fût un héros pour tout autre qu’elles ; mais que, dans tout ce qui les regarde elles-mêmes, sa douceur et son humilité ne connussent point de bornes ? Une femme a quelque raison de se glorifier de la conquête d’un cœur auquel rien n’est capable de causer de l’effroi ; et delà vient trop souvent qu’un faux brave, avec ses airs imposans, remporte les fruits qui ne devraient appartenir qu’au véritable courage. Pour l’honnête Hickman, la bonne ame est généralement si souple, que j’ai peine à distinguer s’il y a quelque chose de marqué en ma faveur, dans les respectueux témoignages de sa soumission. Si je le maltraite, il paraît fait si naturellement pour les rebuts, il s’y attend si bien, que je suis embarrassée à le surprendre, soit que l’occasion soit juste ou non. Vous pouvez compter que souvent, lorsque je lui vois prendre un air de repentir pour des fautes qu’il n’a pas commises, je doute si je dois rire ou le plaindre. Nous avons quelquefois pris plaisir toutes deux à nous représenter quelles doivent avoir été, dans l’enfance, les manières et la physionomie des personnes avancées en âge, c’est-à-dire, à juger, par les apparences présentes, quelle figure ils devaient faire dans leur première saison. Je vais vous dire sous quel jour je vois Hickman, Solmes et Lovelace, nos trois héros, lorsque je les suppose au collège. Solmes, je m’imagine, devait être un sale et avide petit garçon, qui tournait sans cesse autour de ses camarades, dans l’espérance de trouver quelque chose à dérober, et qui leur aurait demandé volontiers à chacun la moitié de leur pain, pour épargner le sien. Je me représente Hickman comme un grand élancé, avec la chevelure aussi plate que la physionomie, qui était harcelé et pincé de tous les autres et qui retournait au logis le doigt dans l’œil, pour s’en plaindre à sa mère. Lovelace, au contraire, était un franc vaurien, plein de feu, de caprices et de méchanceté, qui allait à la picorée dans les vergers, qui montait par-dessus les murailles, qui courait à cheval sans selle et sans bride ; un audacieux petit coquin, qui donnait des coups et qui en recevait ; qui ne rendait justice à personne, et qui n’en demandait pas ; qui, ayant la tête cassée dix fois le jour, disait : c’est l’affaire d’un emplâtre, ou, qu’elle se guérisse toute seule ; tandis que ne pensant qu’à faire plus de mal encore, il allait s’exposer d’un autre côté à se faire briser les os. Les reconnaissez-vous ? Je trouve que les mêmes dispositions sont crues avec eux, et les caractérisent encore avec peu d’altération. Il est bien mortifiant, ma chère, que tous les hommes soient autant d’animaux malfaisans, qui ne diffèrent que du plus au moins, et que ce soit entre ces monstres-là que nous soyons obligées de choisir. Mais je crains, plus que jamais, que ce ton de plaisanterie ne soit un peu hors de saison, pendant que vous gémissez dans des circonstances si affligeantes. Si je n’ai pas réussi à vous divertir, comme je le fais quelquefois par mes impertinences, je suis inexcusable, non-seulement auprès